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(PDF) Loi et norme chez Foucault

Loi et norme chez Foucault

La plupart des commentateurs de la pensée de Foucault invoquent le droit comme catégorie universelle sans rapport avec le nominalisme constamment affiché et pratiqué par Foucault, donc sans bénéfice pour la compréhension de sa pensée. Il faudrait donc choisir entre « le droit » et « Foucault » ; mais ce choix, s’il semble opéré au profit de la cohérence du concept de droit, se fait au détriment de ce que Foucault désigne comme « la petite question : comment ça se passe ? ». Ainsi que l’observe Mathieu Potte-Bonneville, dans le cours du 14 janvier 1976 au Collège de France, Foucault déclare : « Donc : règles de droit, mécanismes de pouvoir, effets de pouvoir. Ou encore : règles de pouvoir et pouvoir des discours vrais ». D’une phrase l’autre, le droit a disparu – Foucault insistant toutefois suffisamment longtemps pour que le couple pouvoir / savoir intègre plus loin un troisième terme (« Donc, triangle : pouvoir, droit, vérité ») et pour que la série de cours soit consacrée à l’analyse d’un discours - celui de la « guerre des races » - susceptible, non d’effacer toute mention du droit au profit d’une stricte logique des forces, mais de faire valoir « un droit à la fois ancré dans une histoire et décentré par rapport à une universalité juridique ». Un droit, donc, qui ne ressemble plus du tout à ce que les philosophes nomment ainsi ordinairement ; mais un droit, aussi bien, auquel Foucault donne encore le nom de « droit », l’installant au lieu même de ce qu’il conteste. Michel Foucault est bien un philosophe du droit, au même titre qu’un philosophe du pouvoir, et ses analyses sur le droit doivent nous permettre, au terme d’un certain nombre de changements ou superpositions de paradigmes du pouvoir et de gouvernement des populations, ajoutés aux changements de paradigmes dans l’analyse des relations entre droit et société, de retrouver le droit au lieu de l’évacuer, et d’apercevoir combien les tendances aujourd’hui à l’œuvre dans le droit ressemblent aux fictions qu’il a dessinées à partir de 1976, notamment, et jusqu’aux années 1980. Ce propos, que j'ai rédigé dans l'introduction de mon mémoire de maîtrise (soutenu en 2004 à l'Université Paris-X Nanterre) vaut encore vingt ans plus tard : en 2024, Michel Foucault reste un philosophe du droit - celui qui anticipe un grand nombre des évolutions les plus récentes du droit. Le droit à l'épreuve de Foucault... et Foucault à l'épreuve du droit, de sa privatisation en particulier, et de la "gouvernance" contemporaine... via la réflexion consacrée au dédoublement du droit contemporain entre la loi écrite par l'autorité politique et juridique et la norme d'importation morale, disciplinaire, médicale ou managériale et entrepreneuriale (ce qui fait dire à Michel Foucault, dès 1978, qu'"il faut bien comprendre les choses non pas du tout comme le remplacement d’une société de souveraineté par une société de discipline, puis d’une société de discipline à, disons, une société de gouvernement". : "on a, en fait, un triangle souveraineté – discipline – gestion gouvernementale dont la cible principale est la population et dont les mécanismes essentiels sont les dispositifs de sécurité", in Dits et Ecrits II, "La gouvernementalité").