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(PDF) En quête d’une historienne

En quête d’une historienne

2015, Presses universitaires de Provence eBooks

Dobiache-Rojdestvensky reflétée dans sa correspondance avec Ferdinand Lot Cet essai s'inscrit dans une enquête sur l'historiographie féminine commencée il y a une dizaine d'années 1 qui vise à contribuer à une vision plus juste (à la fois au sens d'exactitude et de justice) de l'apport des femmes à l'historiographie. Il est en effet « frappant de constater jusque dans les meilleures recherches en historiographie l'invisibilité des praticiennes de l'histoire » constate Nicole Pellegrin 2. Non seulement les femmes sont minoritaires dans cette discipline longtemps perçue comme virile, mais ce fait est ensuite aggravé par le « gommage » de celles qui, en dépit des obstacles, s'y sont illustrées. Effacement souvent lié à leur sous-représentation et à une position subalterne dans les institutions de savoir 3 susceptibles de prendre en charge leur mémoire ainsi qu'à « des attendus misogynes plus ou moins conscients 4 ». Si, aujourd'hui, le chantier est ouvert 5 , l'élaboration d'une synthèse serait prématurée. Aussi me bornerai-je à enrichir ma galerie de portraits d'une nouvelle figure. Pourquoi Olga Dobiache-Rojdestvensky 6 ? Le cas de cette historienne russe permet d'introduire dans notre réflexion une dimension comparatiste. Il est surtout intéressant en ce qu'il semble constituer un contre-exemple. De prime abord, Dobiache appartient à la catégorie des femmes d'exception : première à avoir obtenu sa thèse de doctorat en Russie (1918), elle occupa dans le monde 2 académique de ce pays une position éminente : professeure d'histoire médiévale et de paléographie à l'Université de Pétrograd dès 1918, conservatrice du département des manuscrits à la bibliothèque de Saltykov-Scedrin à partir de 1922, membre correspondant de l'Académie des sciences en 1929 7. « Si la nouvelle Russie occupe toujours sa place dans la recherche de la culture médiévale, c'est incontestablement à elle qu'elle le doit 8 » écrivait Ferdinand Lot dans sa nécrologie. Aujourd'hui la mémoire de cette historienne reste vivante dans la communauté historienne russe. Boris Kaganovitch lui a consacré plusieurs études , comparant son apport à la sciences historique à ceux de Marc Bloch, de Lucien Febvre et de Fernand Braudel 9 , mais celles-ci ne sont pas traduites. Il en est de même pour une partie de l'oeuvre de Dobiache, ce qui la rend difficilement accessible et contribue à expliquer son oubli en Occident 10. Mais sans doute faut-il aussi incriminer des « attendus misogynes plus ou moins conscients ». La présente réflexion prend pour fil rouge les lettres de l'historienne à Ferdinand Lot, son ancien professeur à l'École Pratique des Hautes Études (EPHE) 11. « Mon cher maître et ami … » Ces vingt-huit lettres manuscrites, écrites en français, sont conservées dans les papiers de l'historien déposés en 1981 par ses filles à la Bibliothèque de l'Institut 12. La plupart d'entre elles sont datées, les premières selon le calendrier julien, en usage en Russie jusqu'au 31 janvier 1918. Elles s'échelonnent de façon très