Papers by Natacha Israël
La plupart des commentateurs de la pensée de Foucault invoquent le droit comme catégorie universe... more La plupart des commentateurs de la pensée de Foucault invoquent le droit comme catégorie universelle sans rapport avec le nominalisme constamment affiché et pratiqué par Foucault, donc sans bénéfice pour la compréhension de sa pensée.
Il faudrait donc choisir entre « le droit » et « Foucault » ; mais ce choix, s’il semble opéré au profit de la cohérence du concept de droit, se fait au détriment de ce que Foucault désigne comme « la petite question : comment ça se passe ? ».
Ainsi que l’observe Mathieu Potte-Bonneville, dans le cours du 14 janvier 1976 au Collège de France, Foucault déclare : « Donc : règles de droit, mécanismes de pouvoir, effets de pouvoir. Ou encore : règles de pouvoir et pouvoir des discours vrais ». D’une phrase l’autre, le droit a disparu – Foucault insistant toutefois suffisamment longtemps pour que le couple pouvoir / savoir intègre plus loin un troisième terme (« Donc, triangle : pouvoir, droit, vérité ») et pour que la série de cours soit consacrée à l’analyse d’un discours - celui de la « guerre des races » - susceptible, non d’effacer toute mention du droit au profit d’une stricte logique des forces, mais de faire valoir « un droit à la fois ancré dans une histoire et décentré par rapport à une universalité juridique ».
Un droit, donc, qui ne ressemble plus du tout à ce que les philosophes nomment ainsi ordinairement ; mais un droit, aussi bien, auquel Foucault donne encore le nom de « droit », l’installant au lieu même de ce qu’il conteste.
Michel Foucault est bien un philosophe du droit, au même titre qu’un philosophe du pouvoir, et ses analyses sur le droit doivent nous permettre, au terme d’un certain nombre de changements ou superpositions de paradigmes du pouvoir et de gouvernement des populations, ajoutés aux changements de paradigmes dans l’analyse des relations entre droit et société, de retrouver le droit au lieu de l’évacuer, et d’apercevoir combien les tendances aujourd’hui à l’œuvre dans le droit ressemblent aux fictions qu’il a dessinées à partir de 1976, notamment, et jusqu’aux années 1980.
Ce propos, que j'ai rédigé dans l'introduction de mon mémoire de maîtrise (soutenu en 2004 à l'Université Paris-X Nanterre) vaut encore vingt ans plus tard : en 2024, Michel Foucault reste un philosophe du droit - celui qui anticipe un grand nombre des évolutions les plus récentes du droit.
Le droit à l'épreuve de Foucault... et Foucault à l'épreuve du droit, de sa privatisation en particulier, et de la "gouvernance" contemporaine... via la réflexion consacrée au dédoublement du droit contemporain entre la loi écrite par l'autorité politique et juridique et la norme d'importation morale, disciplinaire, médicale ou managériale et entrepreneuriale (ce qui fait dire à Michel Foucault, dès 1978, qu'"il faut bien comprendre les choses non pas du tout comme le remplacement d’une société de souveraineté par une société de discipline, puis d’une société de discipline à, disons, une société de gouvernement". : "on a, en fait, un triangle souveraineté – discipline – gestion gouvernementale dont la cible principale est la population et dont les mécanismes essentiels sont les dispositifs de sécurité", in Dits et Ecrits II, "La gouvernementalité").
Revue en ligne du Mouvement Transitions, 2022
Si je pense, comme Judith Butler, que le geste d’Antigone est politique, c’est dans la mesure où ... more Si je pense, comme Judith Butler, que le geste d’Antigone est politique, c’est dans la mesure où accomplir le rite funéraire vise également à préserver la cité contre la hantise, tout en affirmant la possibilité d’un autre ordre, plus précisément de lois mieux écrites, plus justes, donc sans affirmer la désuétude d’une certaine « piété » familiale et des lois non écrites. Quant au partage archaïque entre le féminin et le masculin, Antigone ne le subvertit qu’indirectement.
La méthode de Judith Butler, qui consiste à repartir des Universels présupposés par les lectures de Hegel et de Lacan pour les forcer à entrer en conflit, s’éloigne trop de la méthode consistant à partir de la tragédie, sans prétendre occulter les commentaires déjà proposés, pour observer alors qu’Antigone affirme héroïquement la priorité d’un certain type d’action sur la simple préservation de soi-même.
Car l’enjeu de la tragédie demeure celui du deuil que la tyrannie de Créon rend impossible et que l’initiative d’Antigone cherche inversement à rendre possible. Selon moi, Antigone est alors celle qui défend à l’extrême une position dans l’ensemble aussi sage que rationnelle sur le fond. Et il m’importe qu’elle agisse ainsi en tant que femme grecque.
Nous examinons d’abord les aspects de la souveraineté politique sur la scène shakespearienne. À l... more Nous examinons d’abord les aspects de la souveraineté politique sur la scène shakespearienne. À la lumière des analyses consacrées par Walter Benjamin au drame baroque, en 1928, et de la réaction de Carl Schmitt dans Hamlet ou Hécube (1956), nous montrons que Shakespeare met en scène la mortalité des corps politiques et la souveraineté nouvelle de l’intrigant dans le temps terrestre. Sommé de maîtriser l’art et le tempo de l’intrigue, le Prince est néanmoins impuissant à empêcher la décomposition de l’État. En prenant appui sur le drame élisabéthain, notamment sur le vertige mélancolique et sceptique d’Hamlet, nous interrogeons alors l’effort contemporain en vue de l’ordre et de la synchronisation dans la cité. La théorie hobbesienne de la représentation politique et juridique moderne rompt avec la conception mystique de l’unité politique et toute écriture inspirée des lois, tandis que la scène civile y est dédiée à la paix du commerce entre les individus afin de garantir les condit...
L'enfance : Freud, Lyotard (Le Tour critique, n°5), 2020
Antigone est-elle vouée à ne pas exister en vue de la génération, en vue de fonder sa propre fami... more Antigone est-elle vouée à ne pas exister en vue de la génération, en vue de fonder sa propre famille, parce qu’elle préfère se vouer d’abord à Œdipe, qu’elle accompagne à Colone, puis à Polynice dont elle honore la dépouille malgré l’interdit de Créon ? Est-elle vouée au sacrifice à cause de son attachement excessif au père-frère et à un autre de ses frères ? C’était probablement l’avis de Freud – un avis aujourd’hui discuté par Judith Butler, qui voit dans la fille d’Œdipe le rejet d’une norme dont Freud, en cela semblable à Créon, serait le champion. Si le geste de J. Butler entérine la thèse d’une Antigone en proie à des désirs socialement prohibés, il consiste à réhabiliter ces désirs à l’intérieur de la cité, face au Tyran, et à faire ainsi du combat d’Antigone un combat à la fois mélancolique et politique. La lecture lyotardienne d’Antigone consiste en général, quant à elle, à faire de la jeune fille la victime d’un différend entre deux « jeux de langage » irréconciliables, là où je propose de voir, tout autrement, la victime d’une excessive et fatale inquiétude – celle de Créon – motivée par la désobéissance. Plus inquiet, au dernier épisode de la tragédie, d’avoir bafoué la loi morale que d’avoir été contredit, Créon se dédit lui-même et tombe d’accord avec la jeune fille, laquelle s’est néanmoins déjà donné la mort après avoir été enterrée vivante. La tragédie encourage alors à interroger l’exigence initiale de la jeune fille, ce que je fais ici en m’efforçant de nuancer tant la grille de lecture freudienne que la lecture proposée par J. Butler, afin de revenir à la question de ce différend d’abord logé en nous-mêmes : celui de l’enfance et de la dette inaccordable envers celle-ci. Car nous pouvons encore rendre justice à Antigone à défaut de pouvoir résorber la dette envers notre enfance, toutefois à condition de supporter ladite dette, son existence, en sacrifiant quant à nous toute hâte, toute impatience à « enterrer » Antigone, fût-ce comme héroïne absolue (voire absolutiste) ou comme coupable de désirs incestueux (destructeurs pour les autres et pour elle-même). Je soutiens, en effet, que notre impatience à faire dire à la jeune fille ce qu’elle ne dit pas constitue une injustice dont la source loge elle-même dans notre hâte à juger, assigner, partant rejeter ce qui, souvent, résiste pourtant à la conceptualisation, même quand cette conceptualité s’applique à soustraire quelque chose à une autre conceptualité réputée « méchante ». Et je rapporte ici, ultimement, cette hâte à celle d’accorder l’inaccordable de l’enfance, au risque d’être injuste envers soi-même autant qu’envers les autres.
Lyotard à Nanterre, C. Pagès (dir.), Paris, Klincksieck, Coll. "Continents philosophiques", 2010, pp. 305-325
Colloque Lyotard -séminaire thématique des Doctorants en philosophie de l'Université Paris X Nant... more Colloque Lyotard -séminaire thématique des Doctorants en philosophie de l'Université Paris X Nanterre Contribution de Natacha Israël : Enfance, dette et histoire (d')après Lyotard. 1 Enfance, dette et histoire (d')après Lyotard. En exergue, je voudrais citer non pas Jean-François Lyotard mais Pierre Legendre qui dans un récent ouvrage, Nomenclator, cite lui-même un « poète inconnu » disant : « l'inexplicable chagrin d'exister fait vivre l'oeuvre, mais demeure dans le secret » 1 . Il me semble, sans bien connaître l'oeuvre de Lyotard, qu'un inexplicable chagrin d'exister la devance, la rend possible et la fait persévérer tout en constituant l'un de ses « objets », peut-être le plus significatif… Lyotard n'ayant pas reculé, dans L'Inhumain en particulier, devant l'effort de dire cet inexplicable chagrin d'être ou exister, non pour le (res)saisir -puisqu'il est inexplicablemais pour éclairer l'humain comme celui qui marche au bord d'un abîme, lequel est aussi la rive inhumaine « en » l'humain et offre au moins deux virtualités dans la perspective de Lyotard : celle de la barbarie, en son sens étymologique désignant l'en deçà de la parole et de la civilisation, et celle d'une étrange positivité au sens où l'humain y serait ressourcé et l'histoire inspirée en direction de la vie commune, de la parole ou du discours articulé et cultivé. Et ces deux virtualités seraient aussi bien, toujours et déjà, celles de l'enfance, origine de l'expérience et de l'histoire, temps d'une dette irrétractable, que les hommes s'efforceraient cependant de rétracter, individuellement et collectivement, « secret » de l'humain qui fait vivre toute oeuvre sensible, discursive, toute parole intelligente et reste cependant son « dehors » inexplicable, toujours dans la perspective de Lyotard. Temps du passage, de l'apprentissage, celui du devenir humain, l'enfance est donc aussi bien le temps de la dette, jamais effacée mais domestiquée au sens propre, c'est-à-dire travaillée ou acclimatée ; et l'âge adulte demeure dans un rapport dialectique avec cette enfance « barbare » autant que « positive » puisque avec elle tout commence et tout peut… recommencer. Pour l'éclairer, je commenterai un texte extrait de l'avant-propos à L'Inhumain, Causeries sur le temps. On y trouve : 1) la caractérisation de la dette initiale et de ce que les « humains ne naissent pas humains », ils doivent le devenir par l'apprentissage de la parole, de la vie commune et d'institutions raisonnables ; 2) la dialectique de l'enfance « inhumaine » (antérieure à la vie raisonnable et civilisée) et de l'adulte « humain » (au sens où il est un être parlant, civilisé, qui enseigne autrui à son tour) ; et Lyotard soulève la question d'un « reste » (comme un rebut) de la dialectique, lequel serait la clé de l'histoire « humaine » quoique il ait maille à partir avec l'« inhumain ». 1 Pierre Legendre, Nomenclator, Sur la question dogmatique en Occident II, L'Esthétique et la fonction d'instituer, Scène, scénario, théâtralité, p. 81. Colloque Lyotard -séminaire thématique des Doctorants en philosophie de l'Université Paris X Nanterre Contribution de Natacha Israël : Enfance, dette et histoire (d')après Lyotard.
Actes du colloque international interdisciplinaire "Rencontres et confrontations", 13-14 juin 2013 in Doctorales , n°3, Montpellier, MSH-M, 2016 [under evaluation].
J'ai publié ici ce texte, une première fois, en 2014. En 2015, un expert m'a demandé quelques mod... more J'ai publié ici ce texte, une première fois, en 2014. En 2015, un expert m'a demandé quelques modifications en vue de sa publication (en 2016). Voici donc la seconde version de cet article (à paraître).
Ici, nous considérons d'abord la manière dont Foucault a désigné Hobbes comme celui qui, au XVIIème siècle, a abstrait le discours de la « guerre des races » de ses fondements politiques et historiques et favorisé ainsi l'avènement ultérieur d'un « racisme d'État ». Or, n'est-ce pas plutôt un certain discours, éludé ou passé sous silence par Foucault, qui a permis l'émergence de la rationalité politique et juridique concrètement épanouie depuis le XVIIème siècle et Léviathan ne s'efforçait-il pas d'emblée, parmi d'autres buts, d'en corriger les excès ? Dans cette perspective, Hobbes aurait en fait cherché à promouvoir une certaine ascèse, contre la guerre incessante des représentations et des discours qui dépossède de toute individualité et de toute autonomie réelles, en vue d'un commerce entre les individus pacifié jusque dans la sphère privée.
Les Cahiers de Prospéro, "Faire langage-image I : Shakespeare et le droit, Shakespeare en images", Université Saint-Louis de Bruxelles, 2011
Héros ou personnages ? Le personnel du théâtre de Pierre Corneille, M. Dufour-Maître (dir.), Rouen, PURH, 2013, pp. 159-195, 2013
Nous aspirons à montrer les différences entre l’Horace de Corneille et le Coriolan de Shakespeare... more Nous aspirons à montrer les différences entre l’Horace de Corneille et le Coriolan de Shakespeare à la lumière des rapports de composition entre le corps du « héros » et le « corps politique », attendu que ce rapport est en crise dans l’une et l’autre pièces. L’héroïsme absolu – et pourtant remis en cause – d’Horace et celui, relatif, de Coriolan en tant que son action relève d’une lutte pour l’intégrité personnelle plus que pour Rome, permettent d’envisager la naissance ou l’émergence du personnage qui succède, au XVIIe siècle, à ce temps que Hegel désigna comme le « temps des héros » (« Heroenzeit »), et l’apparition, face au « public », d’un « privé » qui tremble toutefois bien différemment dans Horace et dans Coriolan.
Publication de l'Université Saint-Louis de Bruxelles - Cahiers du S.I.R.L (séminaire interdisciplinaire de recherches littératires), 2008
Etat souverain, nation, démocratie -ainsi serait-ce d'un corps que sortent les formes modernes du... more Etat souverain, nation, démocratie -ainsi serait-ce d'un corps que sortent les formes modernes du monde des hommes, formes désubstantialisées, restes subtils, avatars désincarnés d'une chair royale ?
Law and Humanities, 2011, n°5, pp. 141-152
A discussion on the impact of Writers like John Milton, John Dryden, Henry Neville and Shakespear... more A discussion on the impact of Writers like John Milton, John Dryden, Henry Neville and Shakespeare in which they have asked their audience to think like kings and judges is presented. The author opines that that the Law itself is a creation, an invention and a game.
"Conflit, Négociation, Coopération", Cahiers de l’Ecole Doctorale Connaissance, Langage, Modélisation de l’Université Paris-Ouest Nanterre, 2005, n°1
La multiplication des foyers de création du droit, l'affaiblissement de la souveraineté étatique,... more La multiplication des foyers de création du droit, l'affaiblissement de la souveraineté étatique, l'érosion de la représentation unitaire de la volonté nationale, et quelques-uns de leurs corollaires, tels l'enchevêtrement des systèmes normatifs et l'hybridation des savoirs juridiques, tous annoncent des « temps difficiles à vivre pour le droit » 63 , et par conséquent pour le règlement des conflits, l'organisation et la mise en ordre des rapports de coopération, à cause de ce qu'on dit être un glissement de la Loi générale et impersonnelle vers le contrat, le droit négocié, procéduralisé, de nos sociétés post-modernes. Nous proposons de poser quelques bases à la réflexion qui pourrait permettre, ultérieurement, d'apercevoir la nature du droit au-delà de ses mutations historiques, d'interroger l'efficacité du paradigme de la souveraineté pyramidale pour penser les changements institutionnels dont nos sociétés font l'épreuve, les nouveaux modes de négociation des normes sociales, les rapports de pouvoir et de coopération et, enfin, de reconsidérer l'utilité des travaux de Michel Foucault pour leur généalogie et la prospective.
Talks by Natacha Israël
'What is authority?' According to Arendt, authority in the proper sense no longer exists. Modern ... more 'What is authority?' According to Arendt, authority in the proper sense no longer exists. Modern governments are too interested in the 'sphere of necessity', stressing our animality rather than real citizenship. Human politics implies the 'domination of necessity' whereas contemporary 'politics' means nothing more than administration (indeed, the administration of needs). Giorgio Agamben borrowed from Arendt the concept of 'naked life' to elaborate the Aristotelian contrast between 'bios' (the real political life within a city) with 'zoe' (the human life reduced to animality). He refers to Carl Schmitt to stress the opposition between real politics and some process of depolitization combined with dehumanisation. As a matter of fact, Schmitt is concerned with the mechanization of authority, which is unable to delay chaos or destruction. Yet, in his view, animality or dehumanization is not the horizon of our community. In other words, the mechanization of authority, power and law does not mean the animalization of the Human but capitulation to the enemy and surrender to evil. One should never forget this, simply because Schmitt himself never forgets who his intellectual enemies are. Among them, those who fought the Stuarts in the 17th century England: the Puritans who considered Revolution, contract (or Covenant), constitution, common law and individual rights as tools of their own goal of redemption, not as means of their own dehumanization. If they broke with the older conception of the 'political and mystical body', their inspiration was nevertheless messianic, which means they didn't aim to live like animals. In a world seemingly detheologized, the result may appear to be animalization or dehumanization because of the increased mechanization of 'politics', in other words because of the growth of bio-power. Still, we lack something if we forget the messianic inspiration of this bio-power. From Schmitt’s point of view, we might even be tragically despising the 'enemy' by ignoring his spiritual – therefore human – motivation. On the contrary, the understanding of such motivation might lead us to realize that History has still not ended. Walter Benjamin can be more helpful than Schmitt to understand that bio-power is not the last word of Humanity or the last word for the presumably animalized and depoliticized Human. Finally, he might also help us conjure some obscurities and confusions among the contemporary critique of bio-power and depolitization. This critique does not treat either Schmitt or Benjamin with care, and seems to misjudge Thomas Hobbes as well. His concepts of authority, contract / representation and law are still useful, especially because they were built to confront Puritan views and goals for Humanity – to confront the puritan ambition to substitute an impersonal 'disciplinary machine' (that is to say the effort towards moral, physical and hygienic normalization) for the 'political authority' of laws written by men (and women) interested in much more (or much better) than the purity of the body and individual election. Despite the effective eclipse of the 'political', such – puritan – concerns can still be seen as all too human rather than inhuman and we might still have the choice to face and counter them.
Contribution prononcée dans le cadre du séminaire de Luc Foisneau à l'E.H.E.S.S. (« Hobbes et les... more Contribution prononcée dans le cadre du séminaire de Luc Foisneau à l'E.H.E.S.S. (« Hobbes et les théories contemporaines de la justification »), le 19 avril 2017.
Le contexte de la Réforme éclaire la démarche de Hobbes tout comme celle de ses adversaires, de ces compatriotes auxquels il s'adresse dans le but de réfuter leurs conceptions de la liberté, de la loi, du gouvernement « mixte », du bien et du mal, de la vertu et du vice (liste non exhaustive)…. Or, déjà, tout est dit : des compatriotes peuvent être des adversaires ; ils peuvent se déchirer mutuellement en déchirant, du même coup, le « corps politique » de la Nation. C'est ce corps qu'il s'agit, pour Hobbes, de reconstruire de manière inédite en Angleterre : de manière artificielle, et non plus organiciste, entendons non plus par une justification organiciste et/ou mystique [justification qui connaît une version papiste, une variante puritaine, une variante aristocratique, celle des Lords et Barons de l'Angleterre qui suspendent le droit et la Dignité du Royaume à la Magna Carta (liste non exhaustive)…] Parce que Hobbes pense tout à la fois la mésentente et l'horizon de la paix sociale, il s'agit pour lui de (re)construire le « corps politique » par un artifice et, s'il n'est pas encore possible de parler de « libéralisme politique » au sens qu'on lui donnera plus tard, la justification du consentement à l'autorité d'un souverain à la puissance illimitée sera libérale parce qu'elle sera fondée dans la raison individuelle, non dans la foi, ni dans la tradition ou l'appartenance de fait à une certaine communauté, ni dans le fait même de l'autorité. Dans un premier temps, en effet, Hobbes entérine la pluralité des corps percevants, sensibles et conscients – il entérine la pluralité des conceptions du « bon » et du « juste », ainsi que du salut. Ensuite, sur ce fondement libéral, il reconstruit l'autorité la moins libérale, parce que la plus autoritaire, mais pas la plus disciplinaire sinon la moins disciplinaire qui soit. (Je le montre dans la seconde partie de ma thèse soutenue en juin 2014, à Bruxelles).
Books by Natacha Israël
Si Léviathan n’est pas un drame baroque au sens propre, le texte n’en constitue pas moins le mome... more Si Léviathan n’est pas un drame baroque au sens propre, le texte n’en constitue pas moins le moment à la fois baroque et retourné contre le Baroque de la politique moderne. Le théâtre hobbesien de la souveraineté, en effet, figure l’antidote baroque – parce que théâtrale, en particulier – à l’absence de fermeture et de solutions politiques du drame baroque, lequel met en scène le « mauvais théâtre » des intrigants livrés à eux-mêmes au temps de la catastrophe permanente. Tout en entérinant la tragédie de l’existence humaine et de tout savoir largement mise en scène par Shakespeare au tournant du XVIIe siècle, le souverain hobbesien (qu’il s’agisse d’un roi ou d’une assemblée) prohibe d’emblée, avec le consentement des citoyens, toute manifestation de rage et de désespoir excessif dans la sphère publique, comme il s’interdit toute écriture du pouvoir tentée de déprécier le temps du séjour terrestre dans l’espoir du salut ou même tentée d’exalter, toujours en vue du salut ou sur le principe d’autres justifications, la propriété individuelle ou l’accumulation de possessions matérielles. Sont alors perdus tout sentiment des correspondances entre les mots et les choses (Foucault insistera sur ce point), de l’unité mystique du corps politique (Schmitt le reprochera à Hobbes), ainsi que la signification de la mélancolie baroque en tant qu’opportunité de soulager les voix ou revendications passées (Benjamin imputera cette perte à la philosophie classique). Est alors conquise, en revanche, la perspective de la sécurité physique et psychique, de l’autonomie individuelle et de l’ordre civil bien réels, autrement dit non imaginaires, à l’issue d’une conversion du regard porté sur le « théâtre du monde » ou en vertu d’un nouveau pacte de lecture de ce dernier, lequel implique derechef un nouveau pacte d’identification et d’expression sur la scène de la cité.
Hobbes dédie rigoureusement les mécanismes de la représentation politique et juridique moderne à la paix du commerce entre les individus afin de garantir les conditions d’une autonomie réelle dans la sphère privée. Réciproquement, cette autonomie bien réelle, en fournissant la clé d’une obéissance rationnelle aux lois civiles, devra pérenniser concrètement l’ensemble des concepts que, dans Léviathan, Hobbes oppose à la mélancolie et au scepticisme de son temps. L’élucidation de son fameux concept de représentation doit ainsi permettre, au passage, de reformuler son libéralisme et son autoritarisme : cette forme proprement moderne du théâtre de l’ordre et de la synchronisation s’avère en effet la moins libérale et la moins disciplinaire, ce qui engage une définition de la liberté bien plus positive qu’il n’y paraît.
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Ce texte est à présent disponible au "format papier", en suivant ce lien : https://www.editions-h... more Ce texte est à présent disponible au "format papier", en suivant ce lien : https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=61856&razSqlClone=1
Le texte qui fournit le premier chapitre de ma thèse intitulée "Mélancolie, scepticisme et écriture du pouvoir à l'âge baroque", est ici précédé d'une brève introduction destinée à souligner l'intérêt d'une réflexion plus vaste à propos de la mélancolie du drame baroque et de sa singulière performativité : tel est, en effet, l'objet de la première partie de ma thèse (qui comprend deux parties interdépendantes, l'une consacrée au drame élisabéthain et au faire-théâtre politique et juridique de Shakespeare en particulier, l'autre consacrée au Léviathan de Hobbes, lequel se trouve rétro-éclairé par le Behemoth relu comme un drame baroque).
Mélancolie, Scepticisme et écriture du pouvoir à l'âge baroque, Chapitre VI, 2014
Ici, nous envisagerons la manière dont le contenu de Béhémoth figure indirectement le drame baroq... more Ici, nous envisagerons la manière dont le contenu de Béhémoth figure indirectement le drame baroque – attendu que le dialogue constitue le récit du Long parlement, au XVII e siècle, dans l'Angleterre des guerres civiles, dont les péripéties évoquent celles des Trauerspiele de la période – et la manière dont le dialogue élabore des solutions figurant elles-mêmes, indirectement, des solutions au Trauerspiel linguistique, institutionnel, juridique et subjectif de l'âge baroque. Comme la plupart des drames baroques, le contenu du dialogue de Béhémoth se signale essentiellement par une structure qui tourne à vide, avec son cortège d'intrigants, de rivaux, de dupes, de morts (un roi et un grand nombre d'anonymes), et son cortège de significations incertaines, fluctuantes sinon spectrales, pointant vers un temps catastrophique ou vers la répétition de la catastrophe, au sein d'un mauvais « infini » qui désigne en vérité un mauvais théâtre, celui des "saints", de ces Puritains qui se disent républicains mais dont les discours, les énoncés, les définitions et le concept de représentation politique sont, selon Hobbes, les plus trompeurs qu'on puisse imaginer.
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Il faudrait donc choisir entre « le droit » et « Foucault » ; mais ce choix, s’il semble opéré au profit de la cohérence du concept de droit, se fait au détriment de ce que Foucault désigne comme « la petite question : comment ça se passe ? ».
Ainsi que l’observe Mathieu Potte-Bonneville, dans le cours du 14 janvier 1976 au Collège de France, Foucault déclare : « Donc : règles de droit, mécanismes de pouvoir, effets de pouvoir. Ou encore : règles de pouvoir et pouvoir des discours vrais ». D’une phrase l’autre, le droit a disparu – Foucault insistant toutefois suffisamment longtemps pour que le couple pouvoir / savoir intègre plus loin un troisième terme (« Donc, triangle : pouvoir, droit, vérité ») et pour que la série de cours soit consacrée à l’analyse d’un discours - celui de la « guerre des races » - susceptible, non d’effacer toute mention du droit au profit d’une stricte logique des forces, mais de faire valoir « un droit à la fois ancré dans une histoire et décentré par rapport à une universalité juridique ».
Un droit, donc, qui ne ressemble plus du tout à ce que les philosophes nomment ainsi ordinairement ; mais un droit, aussi bien, auquel Foucault donne encore le nom de « droit », l’installant au lieu même de ce qu’il conteste.
Michel Foucault est bien un philosophe du droit, au même titre qu’un philosophe du pouvoir, et ses analyses sur le droit doivent nous permettre, au terme d’un certain nombre de changements ou superpositions de paradigmes du pouvoir et de gouvernement des populations, ajoutés aux changements de paradigmes dans l’analyse des relations entre droit et société, de retrouver le droit au lieu de l’évacuer, et d’apercevoir combien les tendances aujourd’hui à l’œuvre dans le droit ressemblent aux fictions qu’il a dessinées à partir de 1976, notamment, et jusqu’aux années 1980.
Ce propos, que j'ai rédigé dans l'introduction de mon mémoire de maîtrise (soutenu en 2004 à l'Université Paris-X Nanterre) vaut encore vingt ans plus tard : en 2024, Michel Foucault reste un philosophe du droit - celui qui anticipe un grand nombre des évolutions les plus récentes du droit.
Le droit à l'épreuve de Foucault... et Foucault à l'épreuve du droit, de sa privatisation en particulier, et de la "gouvernance" contemporaine... via la réflexion consacrée au dédoublement du droit contemporain entre la loi écrite par l'autorité politique et juridique et la norme d'importation morale, disciplinaire, médicale ou managériale et entrepreneuriale (ce qui fait dire à Michel Foucault, dès 1978, qu'"il faut bien comprendre les choses non pas du tout comme le remplacement d’une société de souveraineté par une société de discipline, puis d’une société de discipline à, disons, une société de gouvernement". : "on a, en fait, un triangle souveraineté – discipline – gestion gouvernementale dont la cible principale est la population et dont les mécanismes essentiels sont les dispositifs de sécurité", in Dits et Ecrits II, "La gouvernementalité").
La méthode de Judith Butler, qui consiste à repartir des Universels présupposés par les lectures de Hegel et de Lacan pour les forcer à entrer en conflit, s’éloigne trop de la méthode consistant à partir de la tragédie, sans prétendre occulter les commentaires déjà proposés, pour observer alors qu’Antigone affirme héroïquement la priorité d’un certain type d’action sur la simple préservation de soi-même.
Car l’enjeu de la tragédie demeure celui du deuil que la tyrannie de Créon rend impossible et que l’initiative d’Antigone cherche inversement à rendre possible. Selon moi, Antigone est alors celle qui défend à l’extrême une position dans l’ensemble aussi sage que rationnelle sur le fond. Et il m’importe qu’elle agisse ainsi en tant que femme grecque.
Ici, nous considérons d'abord la manière dont Foucault a désigné Hobbes comme celui qui, au XVIIème siècle, a abstrait le discours de la « guerre des races » de ses fondements politiques et historiques et favorisé ainsi l'avènement ultérieur d'un « racisme d'État ». Or, n'est-ce pas plutôt un certain discours, éludé ou passé sous silence par Foucault, qui a permis l'émergence de la rationalité politique et juridique concrètement épanouie depuis le XVIIème siècle et Léviathan ne s'efforçait-il pas d'emblée, parmi d'autres buts, d'en corriger les excès ? Dans cette perspective, Hobbes aurait en fait cherché à promouvoir une certaine ascèse, contre la guerre incessante des représentations et des discours qui dépossède de toute individualité et de toute autonomie réelles, en vue d'un commerce entre les individus pacifié jusque dans la sphère privée.
Talks by Natacha Israël
Le contexte de la Réforme éclaire la démarche de Hobbes tout comme celle de ses adversaires, de ces compatriotes auxquels il s'adresse dans le but de réfuter leurs conceptions de la liberté, de la loi, du gouvernement « mixte », du bien et du mal, de la vertu et du vice (liste non exhaustive)…. Or, déjà, tout est dit : des compatriotes peuvent être des adversaires ; ils peuvent se déchirer mutuellement en déchirant, du même coup, le « corps politique » de la Nation. C'est ce corps qu'il s'agit, pour Hobbes, de reconstruire de manière inédite en Angleterre : de manière artificielle, et non plus organiciste, entendons non plus par une justification organiciste et/ou mystique [justification qui connaît une version papiste, une variante puritaine, une variante aristocratique, celle des Lords et Barons de l'Angleterre qui suspendent le droit et la Dignité du Royaume à la Magna Carta (liste non exhaustive)…] Parce que Hobbes pense tout à la fois la mésentente et l'horizon de la paix sociale, il s'agit pour lui de (re)construire le « corps politique » par un artifice et, s'il n'est pas encore possible de parler de « libéralisme politique » au sens qu'on lui donnera plus tard, la justification du consentement à l'autorité d'un souverain à la puissance illimitée sera libérale parce qu'elle sera fondée dans la raison individuelle, non dans la foi, ni dans la tradition ou l'appartenance de fait à une certaine communauté, ni dans le fait même de l'autorité. Dans un premier temps, en effet, Hobbes entérine la pluralité des corps percevants, sensibles et conscients – il entérine la pluralité des conceptions du « bon » et du « juste », ainsi que du salut. Ensuite, sur ce fondement libéral, il reconstruit l'autorité la moins libérale, parce que la plus autoritaire, mais pas la plus disciplinaire sinon la moins disciplinaire qui soit. (Je le montre dans la seconde partie de ma thèse soutenue en juin 2014, à Bruxelles).
Books by Natacha Israël
Hobbes dédie rigoureusement les mécanismes de la représentation politique et juridique moderne à la paix du commerce entre les individus afin de garantir les conditions d’une autonomie réelle dans la sphère privée. Réciproquement, cette autonomie bien réelle, en fournissant la clé d’une obéissance rationnelle aux lois civiles, devra pérenniser concrètement l’ensemble des concepts que, dans Léviathan, Hobbes oppose à la mélancolie et au scepticisme de son temps. L’élucidation de son fameux concept de représentation doit ainsi permettre, au passage, de reformuler son libéralisme et son autoritarisme : cette forme proprement moderne du théâtre de l’ordre et de la synchronisation s’avère en effet la moins libérale et la moins disciplinaire, ce qui engage une définition de la liberté bien plus positive qu’il n’y paraît.
Thesis Chapters by Natacha Israël
Le texte qui fournit le premier chapitre de ma thèse intitulée "Mélancolie, scepticisme et écriture du pouvoir à l'âge baroque", est ici précédé d'une brève introduction destinée à souligner l'intérêt d'une réflexion plus vaste à propos de la mélancolie du drame baroque et de sa singulière performativité : tel est, en effet, l'objet de la première partie de ma thèse (qui comprend deux parties interdépendantes, l'une consacrée au drame élisabéthain et au faire-théâtre politique et juridique de Shakespeare en particulier, l'autre consacrée au Léviathan de Hobbes, lequel se trouve rétro-éclairé par le Behemoth relu comme un drame baroque).
Il faudrait donc choisir entre « le droit » et « Foucault » ; mais ce choix, s’il semble opéré au profit de la cohérence du concept de droit, se fait au détriment de ce que Foucault désigne comme « la petite question : comment ça se passe ? ».
Ainsi que l’observe Mathieu Potte-Bonneville, dans le cours du 14 janvier 1976 au Collège de France, Foucault déclare : « Donc : règles de droit, mécanismes de pouvoir, effets de pouvoir. Ou encore : règles de pouvoir et pouvoir des discours vrais ». D’une phrase l’autre, le droit a disparu – Foucault insistant toutefois suffisamment longtemps pour que le couple pouvoir / savoir intègre plus loin un troisième terme (« Donc, triangle : pouvoir, droit, vérité ») et pour que la série de cours soit consacrée à l’analyse d’un discours - celui de la « guerre des races » - susceptible, non d’effacer toute mention du droit au profit d’une stricte logique des forces, mais de faire valoir « un droit à la fois ancré dans une histoire et décentré par rapport à une universalité juridique ».
Un droit, donc, qui ne ressemble plus du tout à ce que les philosophes nomment ainsi ordinairement ; mais un droit, aussi bien, auquel Foucault donne encore le nom de « droit », l’installant au lieu même de ce qu’il conteste.
Michel Foucault est bien un philosophe du droit, au même titre qu’un philosophe du pouvoir, et ses analyses sur le droit doivent nous permettre, au terme d’un certain nombre de changements ou superpositions de paradigmes du pouvoir et de gouvernement des populations, ajoutés aux changements de paradigmes dans l’analyse des relations entre droit et société, de retrouver le droit au lieu de l’évacuer, et d’apercevoir combien les tendances aujourd’hui à l’œuvre dans le droit ressemblent aux fictions qu’il a dessinées à partir de 1976, notamment, et jusqu’aux années 1980.
Ce propos, que j'ai rédigé dans l'introduction de mon mémoire de maîtrise (soutenu en 2004 à l'Université Paris-X Nanterre) vaut encore vingt ans plus tard : en 2024, Michel Foucault reste un philosophe du droit - celui qui anticipe un grand nombre des évolutions les plus récentes du droit.
Le droit à l'épreuve de Foucault... et Foucault à l'épreuve du droit, de sa privatisation en particulier, et de la "gouvernance" contemporaine... via la réflexion consacrée au dédoublement du droit contemporain entre la loi écrite par l'autorité politique et juridique et la norme d'importation morale, disciplinaire, médicale ou managériale et entrepreneuriale (ce qui fait dire à Michel Foucault, dès 1978, qu'"il faut bien comprendre les choses non pas du tout comme le remplacement d’une société de souveraineté par une société de discipline, puis d’une société de discipline à, disons, une société de gouvernement". : "on a, en fait, un triangle souveraineté – discipline – gestion gouvernementale dont la cible principale est la population et dont les mécanismes essentiels sont les dispositifs de sécurité", in Dits et Ecrits II, "La gouvernementalité").
La méthode de Judith Butler, qui consiste à repartir des Universels présupposés par les lectures de Hegel et de Lacan pour les forcer à entrer en conflit, s’éloigne trop de la méthode consistant à partir de la tragédie, sans prétendre occulter les commentaires déjà proposés, pour observer alors qu’Antigone affirme héroïquement la priorité d’un certain type d’action sur la simple préservation de soi-même.
Car l’enjeu de la tragédie demeure celui du deuil que la tyrannie de Créon rend impossible et que l’initiative d’Antigone cherche inversement à rendre possible. Selon moi, Antigone est alors celle qui défend à l’extrême une position dans l’ensemble aussi sage que rationnelle sur le fond. Et il m’importe qu’elle agisse ainsi en tant que femme grecque.
Ici, nous considérons d'abord la manière dont Foucault a désigné Hobbes comme celui qui, au XVIIème siècle, a abstrait le discours de la « guerre des races » de ses fondements politiques et historiques et favorisé ainsi l'avènement ultérieur d'un « racisme d'État ». Or, n'est-ce pas plutôt un certain discours, éludé ou passé sous silence par Foucault, qui a permis l'émergence de la rationalité politique et juridique concrètement épanouie depuis le XVIIème siècle et Léviathan ne s'efforçait-il pas d'emblée, parmi d'autres buts, d'en corriger les excès ? Dans cette perspective, Hobbes aurait en fait cherché à promouvoir une certaine ascèse, contre la guerre incessante des représentations et des discours qui dépossède de toute individualité et de toute autonomie réelles, en vue d'un commerce entre les individus pacifié jusque dans la sphère privée.
Le contexte de la Réforme éclaire la démarche de Hobbes tout comme celle de ses adversaires, de ces compatriotes auxquels il s'adresse dans le but de réfuter leurs conceptions de la liberté, de la loi, du gouvernement « mixte », du bien et du mal, de la vertu et du vice (liste non exhaustive)…. Or, déjà, tout est dit : des compatriotes peuvent être des adversaires ; ils peuvent se déchirer mutuellement en déchirant, du même coup, le « corps politique » de la Nation. C'est ce corps qu'il s'agit, pour Hobbes, de reconstruire de manière inédite en Angleterre : de manière artificielle, et non plus organiciste, entendons non plus par une justification organiciste et/ou mystique [justification qui connaît une version papiste, une variante puritaine, une variante aristocratique, celle des Lords et Barons de l'Angleterre qui suspendent le droit et la Dignité du Royaume à la Magna Carta (liste non exhaustive)…] Parce que Hobbes pense tout à la fois la mésentente et l'horizon de la paix sociale, il s'agit pour lui de (re)construire le « corps politique » par un artifice et, s'il n'est pas encore possible de parler de « libéralisme politique » au sens qu'on lui donnera plus tard, la justification du consentement à l'autorité d'un souverain à la puissance illimitée sera libérale parce qu'elle sera fondée dans la raison individuelle, non dans la foi, ni dans la tradition ou l'appartenance de fait à une certaine communauté, ni dans le fait même de l'autorité. Dans un premier temps, en effet, Hobbes entérine la pluralité des corps percevants, sensibles et conscients – il entérine la pluralité des conceptions du « bon » et du « juste », ainsi que du salut. Ensuite, sur ce fondement libéral, il reconstruit l'autorité la moins libérale, parce que la plus autoritaire, mais pas la plus disciplinaire sinon la moins disciplinaire qui soit. (Je le montre dans la seconde partie de ma thèse soutenue en juin 2014, à Bruxelles).
Hobbes dédie rigoureusement les mécanismes de la représentation politique et juridique moderne à la paix du commerce entre les individus afin de garantir les conditions d’une autonomie réelle dans la sphère privée. Réciproquement, cette autonomie bien réelle, en fournissant la clé d’une obéissance rationnelle aux lois civiles, devra pérenniser concrètement l’ensemble des concepts que, dans Léviathan, Hobbes oppose à la mélancolie et au scepticisme de son temps. L’élucidation de son fameux concept de représentation doit ainsi permettre, au passage, de reformuler son libéralisme et son autoritarisme : cette forme proprement moderne du théâtre de l’ordre et de la synchronisation s’avère en effet la moins libérale et la moins disciplinaire, ce qui engage une définition de la liberté bien plus positive qu’il n’y paraît.
Le texte qui fournit le premier chapitre de ma thèse intitulée "Mélancolie, scepticisme et écriture du pouvoir à l'âge baroque", est ici précédé d'une brève introduction destinée à souligner l'intérêt d'une réflexion plus vaste à propos de la mélancolie du drame baroque et de sa singulière performativité : tel est, en effet, l'objet de la première partie de ma thèse (qui comprend deux parties interdépendantes, l'une consacrée au drame élisabéthain et au faire-théâtre politique et juridique de Shakespeare en particulier, l'autre consacrée au Léviathan de Hobbes, lequel se trouve rétro-éclairé par le Behemoth relu comme un drame baroque).
Le premier chapitre (qui correspond au 8ème chapitre de ma thèse) s'intitule "Léviathan ou l'ascèse de la condition historique-naturelle" ; le chapitre suivant s'intitule 'Léviathan ou l'ordre et l'autonomie non imaginaires". Ces deux chapitres analysent le motif de l'autonomie non imaginaire telle que Léviathan en dessine le projet. Cette autonomie serait, en effet, ce à quoi Hobbes aspirait lui-même, comme sujet (comme citoyen et comme individu considéré en son for interne ou dans la sphère privée), ainsi qu'en attestent sa théorie de l'écriture - littéraire et philosophique - et ses démêlés personnels autant qu'intellectuels avec les auteurs de son temps ou des temps passés. C'est le citoyen comme auteur (autonome) du cadre de la représentation politique et juridique et l'individu comme auteur (autonome) d'énoncés littéraires ou philosophiques que Hobbes convoquerait sur une scène jusqu'alors inédite. Et Hobbes aurait vu dans la conversion de certaines peurs imaginaires, des peurs présidant notamment à la rivalité mimétique entre les individus, le ressort de l'existence autonome et de l'institution civile. Il en irait, dans cette perspective, d'une auto-institution du sujet et de la souveraineté modernes, le sujet moderne aspirant à l'autonomie non imaginaire ou le plus possible concrétisée dans le temps du séjour terrestre, à l'abri de la puissance souveraine instituée pour préserver la paix civile et la possibilité de l'autonomie non imaginaire dans la sphère privée – telle serait la raison d’être du contrat dont Léviathan formule les mécanismes.
Plutôt que l'expression d'une sereine ironie, la célèbre formule de Hobbes à propos du « spectre du défunt Empire romain » (4ème partie de Léviathan) signalerait la détermination du philosophe à voir dissiper, dans l'ordre civil et dans les esprits, les assujettissements infinis à des voix elles-mêmes indéfinies, invisibles, inassignables, comme telles spectrales, pour qu'advienne le « vif » ou la possibilité de vivre ce qu'il est réellement permis de vivre (notamment ce qu'il est possible d'apprendre, d’enseigner, de posséder, de transmettre et d'accomplir) dans le temps du séjour terrestre. Il en irait d'un nouveau pacte d'intelligence entre les individus, lequel serait un nouveau pacte de lecture, d'interprétation, d'identification et d'expression - ou de signification - dans l'ordre civil. Celui-ci entérinerait la « société de marché » naissante et le libéralisme des voix ou des énoncés dans la condition sociale naturelle (par opposition à la condition sociale politiquement construite et établie par le contrat), mais dans le but de préserver constamment la possibilité de l'autonomie réelle des individus (qui doit précisément être construite grâce à l'institution de la société civile / politique, à l'issue d'une première conversion salutaire en tant qu'elle provoque le contrat qui institue la société civile / politique). Loin du « panoptikon mélancolique » que constitue la souveraineté baroque dans la perspective de C. Buci-Glucksmann, Hobbes projetterait une scène civile dont l'organisation, structurée par la notion de « représentation », doit favoriser le dés-assujettissement continu - ou continué - à l'égard des puissances imaginaires, via l'assujettissement à la « voix visible » d'un seul souverain (d'une seule autorité juridique et politique). Ainsi, mon travail souligne l'importance de cette autre projection, corrélée à la projection de la scène de la « représentation politique et juridique », que constitue l'expulsion « hors de soi » des « spectres », « démons » et « phantasmes » (qui n'ont, précisément, pas d'existence « hors de l'imagination »).
La pagination, les références et les renvois sont ceux du document original de ma thèse de doctorat (https://www.academia.edu/8177973/M%C3%A9lancolie_scepticisme_et_%C3%A9criture_du_pouvoir_%C3%A0_l%C3%A2ge_baroque). Aussi, l'annexe de documents et la bibliographie succèdent-elles à ces deux chapitres, pour qu'on ne soit pas contraint de consulter la thèse proprement dite.
Keywords : Melancholy – Skepticism – Law – Discipline – Elizabethan drama – Shakespeare – Walter Benjamin – Carl Schmitt – Hobbes – Leviathan – Behemoth