Books by Laetitia Saintes
La chute de Napoléon, en 1814, marque l’entrée de la France dans un régime d’opinion, résultat d’... more La chute de Napoléon, en 1814, marque l’entrée de la France dans un régime d’opinion, résultat d’une mutation de la culture politique qui voit le discours sur la chose publique gagner l’espace extra-parlementaire, donnant lieu à des formes de discours codifiées opposées à celles du débat politique officiel.
Dans ce cadre, le pamphlet du premier XIXe siècle apparaît comme le catalyseur et le fruit privilégié de cet abandon progressif des formes longues de l’éloquence politique ; sous la plume de Paul Louis Courier, il se mue en une forme de parole codifiée et stabilisée, avec sa rhétorique, ses images et ses protagonistes (le « je » pamphlétaire en particulier). Or la place centrale accordée à l’auteur pose la question de la légitimité de la pratique polémique, et partant des stratégies mises en place par les pamphlétaires pour justifier leur entreprise de dénonciation ; c’est à ces questions que ce livre est consacré.
Papers by Laetitia Saintes
Cahiers staëliens, 2024
Dans le second des deux articles de la Revue des Deux Mondes qu’il consacre en mai 1835 à Germain... more Dans le second des deux articles de la Revue des Deux Mondes qu’il consacre en mai 1835 à Germaine de Staël, Sainte-Beuve fait de George Sand l’une de ses émules modernes :
Vous, que l’opinion déjà unanime proclame la première en littérature depuis Mme de Staël, vous avez, je le sais, dans votre admiration envers elle, comme une reconnaissance profonde et tendre pour tout le bien qu’elle vous aurait voulu et qu’elle vous aurait fait ! Il y aura toujours dans votre gloire un premier nœud qui vous rattache à la sienne.
Ce conseil aux allures d’injonction aussi flatteuse qu’intimidante, Sand le suit en envisageant à nouveaux frais l’œuvre staëlien, dont l’influence profonde sur son œuvre propre, que laissaient présager les allusions égrenées dans Lavinia (1833) et Leone Leoni (1834), devait se ressentir à un moment-clé de son parcours, de la parution de la Lélia de 1839 au diptyque que forment Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt (1843).
Aussi nous proposons-nous, afin d’éclairer un aspect négligé de la postérité staëlienne, de montrer ce que Lavinia, Lélia, Consuelo ou Wanda doivent à Corinne – ou, pour le dire autrement, de cerner la façon dont l’œuvre et la figure de Germaine de Staël ont permis à Sand de penser sa condition de femme artiste et, au-delà, le rôle public de l’écrivain, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une autrice.
Avec Cormenin. Pérégrinations, 2024
Auteur d’un Livre des orateurs (1836) resté fameux, où il décrit avec un sel tout attique les heu... more Auteur d’un Livre des orateurs (1836) resté fameux, où il décrit avec un sel tout attique les heurs et malheurs de l’éloquence se déployant à l’hémicycle, de la Révolution à la monarchie de Juillet, Louis de Cormenin a également laissé une œuvre pamphlétaire majeure, ouverte avec ses Lettres sur la liste civile (1832), et se poursuivant jusqu’à l’aube du Second Empire. Investissant l’écritoire plus volontiers que la tribune, Cormenin devait tenir à l’un comme à l’autre un discours polémique cohérent, plaidant pour la justice sociale, pour l’avènement du suffrage universel, pour une représentativité nouvelle, et enjoignant le régime de Juillet à tenir les promesses faites au peuple rassemblé devant l’Hôtel de Ville de Paris, le 31 juillet 1830. Au même moment, Claude Tillier, pamphlétaire du Nivernais, se livre dans ses écrits – connus de Cormenin, avec qui il entretient une correspondance – à une critique virulente des errements de la France de Juillet, qui a à ses yeux trahi de part en part l’espoir révolutionnaire qui avait porté les Trois Glorieuses. Pour ce faire, il procède également, mais sous des modalités distinctes, à un réinvestissement stratégique de l’imaginaire révolutionnaire, et notamment celui de Quatre-vingt-treize. Il s’agit pour lui de souligner, par contraste, l’inanité du régime né de Juillet, jusqu’à nier, dans un texte au titre éloquent – Non, il n’y a pas eu de Révolution de Juillet – l’idée même d’une rupture survenue avec les Trois Glorieuses. C’est à la façon dont Cormenin et Tillier procèdent au gré de leurs textes à cette instrumentalisation de l’imaginaire révolutionnaire que cet article sera consacré. À la lumière de leurs pamphlets respectifs, il s’agira de déterminer de quelle façon et dans quelle visée les deux pamphlétaires font jouer l’imaginaire révolutionnaire pour mieux appuyer leur propos et défendre – un temps du moins – l’héritage des journées décisives de Juillet.
Annales Benjamin Constant, Dec 2023
Bien que peu exploré par la critique, le rapport que le discours polémique et pamphlétaire entre... more Bien que peu exploré par la critique, le rapport que le discours polémique et pamphlétaire entretient avec le temps revêt pourtant une importance cruciale de la Révolution française au premier XIXe siècle. Offrant des instantanés du climat politique et social, le pamphlet conjugue l’immédiateté d’un contenu en phase avec son temps et celle d’une forme brève, rapidement lisible. Or, celles et ceux qui s’y adonnent ne renoncent pas pour autant à l’idée d’une postérité juge de leurs écrits, et par là même à l’ambition de faire œuvre. Ce sont donc deux temporalités qui coexistent dans le geste polémique. Aussi l’examen de la production pamphlétaire produite de 1789 à 1848 permet-il de penser à nouveaux frais la façon dont la littérature de l’ère des révolutions envisage et représente le temps à travers son rapport aux événements contemporains, au passé récent et au passé plus lointain. C’est à ce rapport au temps qui innerve les écrits polémiques, d’Olympe de Gouges à Claude Tillier, que cet article est consacré.
(eng) Although little explored by critics, the relationship that polemical and pamphleteering discourse has with time is nevertheless of crucial importance from the French Revolution to the early 19th century. Offering snapshots of the political and social climate, pamphlets combine the immediacy of a content in tune with the times with that of a brief, quickly readable form. However, those who write pamphlets do not give up the idea of a posterity for their writings, and thus the ambition to create a lasting literary work. Two temporalities therefore coexist in the polemical gesture. Thus, the examination of pamphlets published from 1789 to 1848 allows us to think afresh about the way in which the literature of the revolutionary era envisages and represents time through its relationship to contemporary events, to the recent past and to the more distant past. This article is therefore devoted to this relationship to time that permeates polemical writings, from Olympe de Gouges to Claude Tillier.
Autour de Jules Vallès, 2023
Auteur d'un Livre des orateurs [1836] resté fameux et de nombreux pamphlets et articles publiés t... more Auteur d'un Livre des orateurs [1836] resté fameux et de nombreux pamphlets et articles publiés tantôt sous son nom, tantôt sous l'éloquent pseudonyme de Timon, Louis de Cormenin s'y montre convaincu, comme il le formule dans l'épigraphe d'un de ses pamphlets, que « [l]a corruption agit, la tribune est muette et la parole est à la presse ». Aussi développe-t-il dans des écrits qui selon son éditeur « résument, par les côtés les plus brillants et les plus sérieux, ce qu'on pourrait appeler l'esprit d'opposition et de progrès sous le règne de Louis-Philippe », ce qu'il ne saurait évoquer longuement à la tribune, étant affligé d'un bégaiement comparable à celui de Camille Desmoulins. Selon lui, « de même qu'il y a l'art du Discours, il y a aussi l'art du Pamphlet », c'est-à-dire « l'art d'animer la pensée, de la refléter dans des prismes colorés, de la vêtir de force, de l'armer de traits et de feux, et de la lancer dans le combat » ; ce combat, pour être remporté, doit cependant être mené conjointement à la tribune et à l'écritoire, dans l'hémicycle et dans la rue. C'est à la façon dont Cormenin pense et représente sous la monarchie de Juillet la complémentarité pour exprimer un propos d'opposition de la tribune et de la presse, du discours, de l'article de journal et du pamphlet, que l'on s'intéressera ici.
Les écrivains polémistes dans la littérature mondiale, Sep 2023
Dans un article daté du 18 avril 1825 et paru dans le "London Magazine", Stendhal rend hommage à ... more Dans un article daté du 18 avril 1825 et paru dans le "London Magazine", Stendhal rend hommage à Paul-Louis Courier, assassiné le 10 avril dans son bois de Larçay, en Touraine : « La littérature française ne pouvait pas éprouver une plus grande perte », écrit-il, le talent de Courier pour « la satire en prose » étant égal, sinon supérieur à celui de Voltaire. Ses écrits, pourtant, « ne sont que peu connus en-dehors de Paris », tant les journaux « n'osèrent presque jamais les signaler ». Stendhal clôt cet hommage posthume à celui qui « aurait été le Pascal du XIXe siècle » en louant, chez cet « ennemi décidé de l'absurde emphase et de l'affectation de véhémence dont M. de Chateaubriand a corrompu la littérature française », le style rappelant souvent « la vigueur et la naïveté de Montaigne » ; désormais, constate Stendhal, « [l]'âge du pamphlet, comme celui de la chevalerie est passé ».
De ce parcours, les 'Chroniques pour l’Angleterre' se font le relais fidèle auprès du public britannique, Stendhal tenant Courier pour « le premier pamphlétaire de France », et conseillant « à tous les Anglais qui aiment l’esprit français, l’esprit à la Voltaire, de rechercher curieusement les moindres opuscules » d’un écrivain dont « le mérite se trouve dans la manière », laquelle est « si intimement liée au génie de la langue française qu’il serait inutile d’essayer de les traduire ».
C’est la démarche de Stendhal que nous souhaiterions interroger dans ce qu’elle dit des modalités possibles de diffusion de l’écrit polémique et plus particulièrement pamphlétaire dans le premier XIXe siècle ; nous chercherons ainsi à éclairer la façon dont il procède pour promouvoir outre-Manche des écrits ne pouvant être traduits sans perdre l’une de leurs qualités essentielles.
Orages, 2022
Les Mémoires d’outre-tombe dépeignent de saisissante façon l’effervescence politique et culturell... more Les Mémoires d’outre-tombe dépeignent de saisissante façon l’effervescence politique et culturelle qui s’empare de la société parisienne au début de la période révolutionnaire :
On se transportait du club des Feuillants au club des Jacobins, des bals et des maisons de jeu aux groupes du Palais-Royal, de la tribune de l’Assemblée nationale à la tribune en plein vent. […] On courait entendre chanter Mandini et sa femme […], après avoir entendu hurler Ça ira ; on allait admirer […] Talma débutant, après avoir vu pendre Favras.
Cette frénésie poussant le public à courir à la fois les clubs politiques et les théâtres alors que se brouillent les limites séparant l’espace public de la scène donne la mesure de temps de désordre caractérisés par « la lutte des deux génies, le choix du passé et de l’avenir, le mélange des mœurs anciennes et des mœurs nouvelles ».
Ce mélange des genres s’observe dans la nature même de la production dramatique du temps, qui entremêle pièces anciennes, comédies légères et productions nouvelles comme La Mère coupable (1792) de Beaumarchais, « mélange monstrueux », selon la critique, « de beautés dramatiques, & de trivialités absurdes & ridicules », objet d’« une exécution plus que bizarre ». Le jeu des acteurs les plus fameux de l’époque porte la marque, lui aussi, de cet égarement généralisé : « Qu’était-il donc, Talma ? Lui, son siècle et le temps antique. Il avait les passions profondes et concentrées de l’amour et de la patrie ; elles sortaient de son sein par explosion. Il avait l’inspiration funeste, le dérangement de génie de la Révolution. »
Aussi notre contribution entend-elle examiner la façon dont l’œuvre de Chateaubriand, de l’Essai sur les révolutions aux Mémoires d’outre-tombe, pense au prisme du théâtre – entendu à la fois comme un lieu d’expression politique et comme la production dramatique du temps – ce dérangement de génie de la Révolution, phénomène à la fois intime et collectif qui devait adopter de nouvelles formes sous l’Empire.
Romantisme, 2023
L’année 1821 voit comparaître devant la Cour d’assises de la Seine Paul-Louis Courier, accusé d’o... more L’année 1821 voit comparaître devant la Cour d’assises de la Seine Paul-Louis Courier, accusé d’outrage à la morale publique pour son Simple discours (1821) et Pierre-Jean de Béranger, poursuivi pour s’être rendu coupable, dans ses Chansons (1821), d’outrage aux bonnes mœurs, à la morale publique et religieuse et d’offense envers la personne du roi. Ces deux procès demeurés célèbres inspirent à Courier comme à Béranger des écrits tous deux parus en 1821 — le Procès de Paul-Louis Courier et le Procès fait aux chansons de P.-J. de Béranger. Cet article entend examiner à la lumière de ces textes la façon dont Courier et Béranger envisagent et se réapproprient, dans l’espace de textes à penser à la fois comme des arts poétiques et des professions de foi politiques, l’éloquence judiciaire qui se déploie lors de leurs procès respectifs.
Savoirs en lien, Dec 2022
Sous la monarchie de Juillet, le débat parlementaire se démarque par la violence verbale parfois... more Sous la monarchie de Juillet, le débat parlementaire se démarque par la violence verbale parfois inouïe des échanges que Louis de Cormenin, député et pamphlétaire, décrit dans son Livre des orateurs (1836). Face à cette hystérisation du débat parlementaire, Cormenin prône-t-il la modération ? Revendique-t-il plutôt un débat laissant latitude à la violence verbale contre l’immobilisme de la politique ministérielle ? Ou prône-t-il une voie médiane ? C’est ce que cette contribution s’emploie à déterminer à la lumière du Livre des orateurs et des Lettres sur la liste civile.
(eng) Under the July Monarchy, parliamentary debate was marked by the sometimes unheard-of verbal violence of the exchanges that Louis de Cormenin, MP and pamphleteer, described in his Livre des orateurs (1836). In the face of this hysterisation of parliamentary debate, did Cormenin plead for moderation? Did he advocate a debate that allowed room for verbal violence against the immobilism of ministerial policy? Or did he call for a middle way? This contribution seeks to answer this question in the light of the Livre des orateurs and the Lettres sur la liste civile.
Cahiers staëliens, 2022
Résumé : Inhérente à la création dans le Groupe de Coppet, la collaboration caractérise également... more Résumé : Inhérente à la création dans le Groupe de Coppet, la collaboration caractérise également sa pratique de l’écriture polémique. Alors que l’Empire amorce son déclin, Germaine de Staël, Benjamin Constant et Auguste Schlegel s’attellent à des écrits de propagande défendant la cause de Bernadotte. Cet article explore, à la lumière de ces écrits et des Journaux intimes de Constant, les perspectives auctoriales et éditoriales que convoque cette pratique collaborative de l’écriture polémique.
Abstract : Inherent to the creation of the Coppet group, collaboration also characterizes its practice of polemical writing. As the First French Empire began to decline, Germaine de Staël, Benjamin Constant and Auguste Schlegel began to write propaganda in defense of Bernadotte's cause. This article explores, in the light of these writings and Constant's Journaux intimes, the auctorial and editorial perspectives that this collaborative practice of polemical writing calls for.
À son arrivée à Londres, en juin 1813, Germaine de Staël reçoit un accueil triomphal, étant céléb... more À son arrivée à Londres, en juin 1813, Germaine de Staël reçoit un accueil triomphal, étant célébrée comme l’opposante la plus tenace à l’Empire napoléonien et la première femme de lettres de son temps. Elle est toutefois bientôt déconcertée par les modalités de la sociabilité britannique, étant accoutumée aux réunions en petit comité et aux discussions mêlant politique et littérature – comme dans le cercle cosmopolite qu’elle réunit à Coppet. Cette notice entend explorer la distinction qu’elle établit dans sa correspondance et ses Considérations sur la Révolution française entre la sociabilité britannique et la sociabilité à la française, plus exclusive.
Romantisme, 2022
Premier texte polémique de George Sand, Fanchette, lettre de Blaise Bonnin à Claude Germain paraî... more Premier texte polémique de George Sand, Fanchette, lettre de Blaise Bonnin à Claude Germain paraît en 1843 dans La Revue indépendante1 (1841) qu'elle a cofondée avec Louis Viardot et Pierre Leroux. Or l'écrit a peiné à trouver preneur : la frilosité des imprimeurs locaux jointe à l'hostilité du ministériel Journal de l'Indre achèvent de convaincre Sand de fonder un périodique répondant au « besoin de relever l'esprit public en province, et de le mettre sur un pied, non de rivalité, mais d'égalité avec celui de la métropole2 ». Ce sera L'Éclaireur de l'Indre, journal des départements de l'Indre, du Cher et de la Creuse, lancé en septembre 1844.
Actes du XIe Colloque de Coppet, 2021
Cet article entend examiner au départ de la correspondance de Germaine de Staël, ainsi que de Dix... more Cet article entend examiner au départ de la correspondance de Germaine de Staël, ainsi que de Dix années d'exil, toutes les occurrences de cette peur de l'oubli qui la touche dès qu'est ordonné son exil à quarante lieues de Paris. L'écrivaine clôt en effet nombre de ses lettres en demandant à ses correspondants de ne pas l'oublier, et évoque à de nombreuses reprises sa peur de ne plus être remémorée (de ses amis comme de l'opinion) si elle en venait à ne plus lutter publiquement contre la mesure d'exil qui la frappe. En ce sens, conjurer l'oubli revient chez elle à conjurer la mort symbolique qui serait la sienne dès lors qu'elle accepterait son sort d'exilée sans discussion ; le présent article envisage les modalités selon lesquelles se joue cette peur de l'oubli comme d'une mort symbolique.
Les Mots du politique. 1815-1848, 2021
Parmi les termes marquants de la langue politique, celui de « pamphlet » est particulièrement exe... more Parmi les termes marquants de la langue politique, celui de « pamphlet » est particulièrement exemplaire de l’énergie polémique du XIXe siècle. Comme le genre qu’il désigne, le terme est avant tout polémique : l’assimilation d’un écrit à un pamphlet, péjorative ou non, n’en est pas moins révélatrice des tensions à l’oeuvre dans le lexique politique de la Restauration.
Comment celle-ci entend-elle le terme de « pamphlet » ? Comment s’illustre-t-il dans les champs politique et littéraire ? C’est ce que nous tenterons de déterminer à l’aide des écrits pamphlétaires de Paul-Louis Courier.
Le médiévisme érudit en France de la Révolution au Second Empire, 2021
Théâtre des soubresauts politiques que l’on sait, la première moitié du XIXe siècle voit égalemen... more Théâtre des soubresauts politiques que l’on sait, la première moitié du XIXe siècle voit également naître un engouement sans précédent pour le Moyen Âge, marqué par un goût pour le gothique et le roman de chevalerie ; bientôt une volonté de mieux connaître la période médiévale se fait jour. Alors que s’ouvre le siècle, Jean de Sismondi, August Wilhelm Schlegel et Germaine de Staël entreprennent chacun à leur façon de réhabiliter une période résolument méconnue dont la connaissance leur paraît essentielle pour renouveler les littératures nationales et, ce faisant, permettre au romantisme naissant de prendre son essor. De son côté, Chateaubriand, dont le Génie du christianisme (1802) a contribué de façon décisive à l’engouement de ses contemporains pour le Moyen Âge, s’attelle à la composition d’une histoire nationale, « monument à la patrie » dans lequel il entend, dans la lignée des travaux des exégètes allemands, rétablir la vérité contre les « vieux mensonges historiques » colportés par une certaine tradition historiographique ; ce sera l’Analyse raisonnée de l’histoire de France (1826). Ces connaissances patiemment accumulées servent néanmoins un objectif idéologique et politique - qu'il s'agisse, chez Chateaubriand, de restaurer la religion catholique dans son rôle civilisateur, ou de défendre, pour le Groupe de Coppet, un idéal chevaleresque susceptible d'inspirer un siècle en manque de repères. Reste encore à voir quel est le Moyen Âge – réel ou imaginaire, merveilleux ou historique – que ces deux tendances idéologiques distinctes instrumentalisent à des fins nettement polémiques. C’est bien cette tension que nous souhaitons interroger, en comparant à la lumière de leurs textes respectifs le médiévisme de Chateaubriand, dont l’Analyse donne à voir une volonté claire de redonner à l’Église le rôle et l’importance qui étaient les siens au Moyen Âge, et celui du Groupe de Coppet, qui aborde la période médiévale dans la perspective progressiste qui caractérise sa vision de l’histoire. Cette approche nous permettra de mieux cerner les modalités et les enjeux idéologiques du médiévisme d’un premier XIXe siècle où la réappropriation de l’histoire revêt plus que jamais une importance déterminante.
Cahiers staëliens, 2020
Entre 1813 et 1814, Schlegel produit plusieurs écrits polémiques destinés à faire entendre son op... more Entre 1813 et 1814, Schlegel produit plusieurs écrits polémiques destinés à faire entendre son opposition à l’Empire, mais aussi à plaider la cause de Bernadotte, Prince Royal de Suède, à l’échelle européenne. C’est à l’étude de ces écrits polémiques qui défendent et illustrent les principes libéraux qui irriguent la pensée de Coppet que cet article sera consacré.
Cahiers staëliens, 2020
Introduction au dossier "Le Groupe de Coppet et l'écriture polémique" des Cahiers staëliens 70 (2... more Introduction au dossier "Le Groupe de Coppet et l'écriture polémique" des Cahiers staëliens 70 (2020).
Les Lettres romanes, 2020
Suivant les pas de Germaine de Staël, Benjamin Constant et surtout Chateaubriand, précurseurs de ... more Suivant les pas de Germaine de Staël, Benjamin Constant et surtout Chateaubriand, précurseurs de la parole pamphlétaire libérale moderne, Paul-Louis Courier fait du pamphlet une forme de parole codifiée et stabilisée, avec sa rhétorique, ses images et ses protagonistes (le « je » pamphlétaire en particulier). Or la place centrale accordée à la figure de l'auteur pose la question de la légitimité de la pratique polémique, et notamment des stratégies mises en place par les pamphlétaires pour justifier leur entreprise de dénonciation-et, le cas échéant, leur rôle de porte-parole du peuple. L'étude de la parole pamphlétaire et celle du métadiscours qui lui est propre ouvre en effet des perspectives sociologiques qui touchent tant au milieu d'origine du pamphlétaire, mis en scène, interrogé et recomposé dans ses écrits, qu'à celui de son lectorat et des personnages évoqués dans ses pamphlets. Partant de ces différents éléments, notre contribution compare les écrits de Courier à ceux de Claude Tillier afin de déterminer en quoi la parole pamphlétaire du premier XIX e siècle peut être qualifiée de parole plébéienne.
Abstract
Following the footsteps of Germaine de Staël, Benjamin Constant and especially Chateaubriand, pioneers of the modern lampoon, Paul-Louis Courier turns it into a codified and stabilized genre, with its own rhetoric, its own images and its own protagonists (particularly the « I » used by the pamphleteer). However, for the pamphleteer, making the author the main centre of interest implies justifying his writings and explaining the way he can speak on the people's behalf. Studying the lampoon and the metadiscourse relating to it implies therefore opening some sociological horizons : the lampoon emphasizes the social background of the pamphleteer, of his characters and of his readers. Considering these factors, our article aims at comparing the sociological component in Courier's and Tillier's writings, intending to assert exactly how popular 19 th Century-France lampoons are, from a sociological and a rhetorical standpoint.
Les Lettres romanes, 2020
Mot d'introduction au dossier "Le polémiste au miroir de la polémique", reprenant les actes de la... more Mot d'introduction au dossier "Le polémiste au miroir de la polémique", reprenant les actes de la journée d'étude du même nom organisée le 17 septembre 2019 à l'UCLouvain.
Chateaubriand, nouvelles perspectives critiques, 2020
Dans sa préface de 1826 au Génie du christianisme dans les Œuvres complètes, Chateaubriand prend ... more Dans sa préface de 1826 au Génie du christianisme dans les Œuvres complètes, Chateaubriand prend le parti de résumer toute sa vie comme un « combat […] contre les hommes qui abusaient du pouvoir pour corrompre ou pour enchaîner les peuples ». Ce combat se donne à lire de manière magistrale à travers ses pamphlets, et particulièrement dans De Buonaparte et des Bourbons (1814), publié quelques jours avant l’abdication de l’Empereur. Pleinement en prise avec son temps et les questionnements qui lui sont propres dans ce pamphlet qui marque, de son propre aveu, son entrée en politique, Chateaubriand n’en doit pas moins justifier son ingérence, en tant qu’homme de lettres, dans les affaires publiques. C’est à cette fin qu’il met en place une scénographie auctoriale propre à légitimer sa position nouvelle, et impliquant notamment un réinvestissement de l’Histoire mené selon des procédés discursifs singuliers, indices d’un rapport à la temporalité caractéristique d’un auteur qui, plus que tout autre, fut son temps.
Quelles sont les modalités esthétiques et poétiques de la scénographie ainsi mise en place ? Comment Chateaubriand instrumentalise-t-il l’Histoire pour appuyer son propos politique, et de quelle façon cela se traduit-il sur le plan esthétique ? Quel est, enfin, l’ethos qui émane du pamphlet ? C’est ce que nous nous appliquerons à déterminer au départ de De Buonaparte et des Bourbons, que l’on comparera à De l’État de la France au mois de mars et au mois d’octobre 1814, pamphlet publié anonymement par Chateaubriand, afin d’attester la continuité et l’originalité des modalités de la posture auctoriale, résolument moderne, du Chateaubriand pamphlétaire. Nous examinerons enfin la réception de la scénographie auctoriale propre au pamphlet au regard de deux écrits parus en réponse à De Buonaparte et des Bourbons, à savoir la Réponse à l’ouvrage de M. de Chateaubriand intitulé « De Buonaparte et des Bourbons » (1814) de Philippe Lesbroussart-Dewaele et les Rêveries de M. de Chateaubriant, ou Examen critique d'un libelle intitulé : « De Buonaparte et des Bourbons » (1815), de Charles-Joseph Bail – écrits révélateurs, par leur publication même, de la résonance, dans le discours politique du temps, du pamphlet et de la figure auctoriale qu’il convoque.
Uploads
Books by Laetitia Saintes
Dans ce cadre, le pamphlet du premier XIXe siècle apparaît comme le catalyseur et le fruit privilégié de cet abandon progressif des formes longues de l’éloquence politique ; sous la plume de Paul Louis Courier, il se mue en une forme de parole codifiée et stabilisée, avec sa rhétorique, ses images et ses protagonistes (le « je » pamphlétaire en particulier). Or la place centrale accordée à l’auteur pose la question de la légitimité de la pratique polémique, et partant des stratégies mises en place par les pamphlétaires pour justifier leur entreprise de dénonciation ; c’est à ces questions que ce livre est consacré.
Papers by Laetitia Saintes
Vous, que l’opinion déjà unanime proclame la première en littérature depuis Mme de Staël, vous avez, je le sais, dans votre admiration envers elle, comme une reconnaissance profonde et tendre pour tout le bien qu’elle vous aurait voulu et qu’elle vous aurait fait ! Il y aura toujours dans votre gloire un premier nœud qui vous rattache à la sienne.
Ce conseil aux allures d’injonction aussi flatteuse qu’intimidante, Sand le suit en envisageant à nouveaux frais l’œuvre staëlien, dont l’influence profonde sur son œuvre propre, que laissaient présager les allusions égrenées dans Lavinia (1833) et Leone Leoni (1834), devait se ressentir à un moment-clé de son parcours, de la parution de la Lélia de 1839 au diptyque que forment Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt (1843).
Aussi nous proposons-nous, afin d’éclairer un aspect négligé de la postérité staëlienne, de montrer ce que Lavinia, Lélia, Consuelo ou Wanda doivent à Corinne – ou, pour le dire autrement, de cerner la façon dont l’œuvre et la figure de Germaine de Staël ont permis à Sand de penser sa condition de femme artiste et, au-delà, le rôle public de l’écrivain, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une autrice.
(eng) Although little explored by critics, the relationship that polemical and pamphleteering discourse has with time is nevertheless of crucial importance from the French Revolution to the early 19th century. Offering snapshots of the political and social climate, pamphlets combine the immediacy of a content in tune with the times with that of a brief, quickly readable form. However, those who write pamphlets do not give up the idea of a posterity for their writings, and thus the ambition to create a lasting literary work. Two temporalities therefore coexist in the polemical gesture. Thus, the examination of pamphlets published from 1789 to 1848 allows us to think afresh about the way in which the literature of the revolutionary era envisages and represents time through its relationship to contemporary events, to the recent past and to the more distant past. This article is therefore devoted to this relationship to time that permeates polemical writings, from Olympe de Gouges to Claude Tillier.
De ce parcours, les 'Chroniques pour l’Angleterre' se font le relais fidèle auprès du public britannique, Stendhal tenant Courier pour « le premier pamphlétaire de France », et conseillant « à tous les Anglais qui aiment l’esprit français, l’esprit à la Voltaire, de rechercher curieusement les moindres opuscules » d’un écrivain dont « le mérite se trouve dans la manière », laquelle est « si intimement liée au génie de la langue française qu’il serait inutile d’essayer de les traduire ».
C’est la démarche de Stendhal que nous souhaiterions interroger dans ce qu’elle dit des modalités possibles de diffusion de l’écrit polémique et plus particulièrement pamphlétaire dans le premier XIXe siècle ; nous chercherons ainsi à éclairer la façon dont il procède pour promouvoir outre-Manche des écrits ne pouvant être traduits sans perdre l’une de leurs qualités essentielles.
On se transportait du club des Feuillants au club des Jacobins, des bals et des maisons de jeu aux groupes du Palais-Royal, de la tribune de l’Assemblée nationale à la tribune en plein vent. […] On courait entendre chanter Mandini et sa femme […], après avoir entendu hurler Ça ira ; on allait admirer […] Talma débutant, après avoir vu pendre Favras.
Cette frénésie poussant le public à courir à la fois les clubs politiques et les théâtres alors que se brouillent les limites séparant l’espace public de la scène donne la mesure de temps de désordre caractérisés par « la lutte des deux génies, le choix du passé et de l’avenir, le mélange des mœurs anciennes et des mœurs nouvelles ».
Ce mélange des genres s’observe dans la nature même de la production dramatique du temps, qui entremêle pièces anciennes, comédies légères et productions nouvelles comme La Mère coupable (1792) de Beaumarchais, « mélange monstrueux », selon la critique, « de beautés dramatiques, & de trivialités absurdes & ridicules », objet d’« une exécution plus que bizarre ». Le jeu des acteurs les plus fameux de l’époque porte la marque, lui aussi, de cet égarement généralisé : « Qu’était-il donc, Talma ? Lui, son siècle et le temps antique. Il avait les passions profondes et concentrées de l’amour et de la patrie ; elles sortaient de son sein par explosion. Il avait l’inspiration funeste, le dérangement de génie de la Révolution. »
Aussi notre contribution entend-elle examiner la façon dont l’œuvre de Chateaubriand, de l’Essai sur les révolutions aux Mémoires d’outre-tombe, pense au prisme du théâtre – entendu à la fois comme un lieu d’expression politique et comme la production dramatique du temps – ce dérangement de génie de la Révolution, phénomène à la fois intime et collectif qui devait adopter de nouvelles formes sous l’Empire.
(eng) Under the July Monarchy, parliamentary debate was marked by the sometimes unheard-of verbal violence of the exchanges that Louis de Cormenin, MP and pamphleteer, described in his Livre des orateurs (1836). In the face of this hysterisation of parliamentary debate, did Cormenin plead for moderation? Did he advocate a debate that allowed room for verbal violence against the immobilism of ministerial policy? Or did he call for a middle way? This contribution seeks to answer this question in the light of the Livre des orateurs and the Lettres sur la liste civile.
Abstract : Inherent to the creation of the Coppet group, collaboration also characterizes its practice of polemical writing. As the First French Empire began to decline, Germaine de Staël, Benjamin Constant and Auguste Schlegel began to write propaganda in defense of Bernadotte's cause. This article explores, in the light of these writings and Constant's Journaux intimes, the auctorial and editorial perspectives that this collaborative practice of polemical writing calls for.
Comment celle-ci entend-elle le terme de « pamphlet » ? Comment s’illustre-t-il dans les champs politique et littéraire ? C’est ce que nous tenterons de déterminer à l’aide des écrits pamphlétaires de Paul-Louis Courier.
Abstract
Following the footsteps of Germaine de Staël, Benjamin Constant and especially Chateaubriand, pioneers of the modern lampoon, Paul-Louis Courier turns it into a codified and stabilized genre, with its own rhetoric, its own images and its own protagonists (particularly the « I » used by the pamphleteer). However, for the pamphleteer, making the author the main centre of interest implies justifying his writings and explaining the way he can speak on the people's behalf. Studying the lampoon and the metadiscourse relating to it implies therefore opening some sociological horizons : the lampoon emphasizes the social background of the pamphleteer, of his characters and of his readers. Considering these factors, our article aims at comparing the sociological component in Courier's and Tillier's writings, intending to assert exactly how popular 19 th Century-France lampoons are, from a sociological and a rhetorical standpoint.
Quelles sont les modalités esthétiques et poétiques de la scénographie ainsi mise en place ? Comment Chateaubriand instrumentalise-t-il l’Histoire pour appuyer son propos politique, et de quelle façon cela se traduit-il sur le plan esthétique ? Quel est, enfin, l’ethos qui émane du pamphlet ? C’est ce que nous nous appliquerons à déterminer au départ de De Buonaparte et des Bourbons, que l’on comparera à De l’État de la France au mois de mars et au mois d’octobre 1814, pamphlet publié anonymement par Chateaubriand, afin d’attester la continuité et l’originalité des modalités de la posture auctoriale, résolument moderne, du Chateaubriand pamphlétaire. Nous examinerons enfin la réception de la scénographie auctoriale propre au pamphlet au regard de deux écrits parus en réponse à De Buonaparte et des Bourbons, à savoir la Réponse à l’ouvrage de M. de Chateaubriand intitulé « De Buonaparte et des Bourbons » (1814) de Philippe Lesbroussart-Dewaele et les Rêveries de M. de Chateaubriant, ou Examen critique d'un libelle intitulé : « De Buonaparte et des Bourbons » (1815), de Charles-Joseph Bail – écrits révélateurs, par leur publication même, de la résonance, dans le discours politique du temps, du pamphlet et de la figure auctoriale qu’il convoque.
Dans ce cadre, le pamphlet du premier XIXe siècle apparaît comme le catalyseur et le fruit privilégié de cet abandon progressif des formes longues de l’éloquence politique ; sous la plume de Paul Louis Courier, il se mue en une forme de parole codifiée et stabilisée, avec sa rhétorique, ses images et ses protagonistes (le « je » pamphlétaire en particulier). Or la place centrale accordée à l’auteur pose la question de la légitimité de la pratique polémique, et partant des stratégies mises en place par les pamphlétaires pour justifier leur entreprise de dénonciation ; c’est à ces questions que ce livre est consacré.
Vous, que l’opinion déjà unanime proclame la première en littérature depuis Mme de Staël, vous avez, je le sais, dans votre admiration envers elle, comme une reconnaissance profonde et tendre pour tout le bien qu’elle vous aurait voulu et qu’elle vous aurait fait ! Il y aura toujours dans votre gloire un premier nœud qui vous rattache à la sienne.
Ce conseil aux allures d’injonction aussi flatteuse qu’intimidante, Sand le suit en envisageant à nouveaux frais l’œuvre staëlien, dont l’influence profonde sur son œuvre propre, que laissaient présager les allusions égrenées dans Lavinia (1833) et Leone Leoni (1834), devait se ressentir à un moment-clé de son parcours, de la parution de la Lélia de 1839 au diptyque que forment Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt (1843).
Aussi nous proposons-nous, afin d’éclairer un aspect négligé de la postérité staëlienne, de montrer ce que Lavinia, Lélia, Consuelo ou Wanda doivent à Corinne – ou, pour le dire autrement, de cerner la façon dont l’œuvre et la figure de Germaine de Staël ont permis à Sand de penser sa condition de femme artiste et, au-delà, le rôle public de l’écrivain, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une autrice.
(eng) Although little explored by critics, the relationship that polemical and pamphleteering discourse has with time is nevertheless of crucial importance from the French Revolution to the early 19th century. Offering snapshots of the political and social climate, pamphlets combine the immediacy of a content in tune with the times with that of a brief, quickly readable form. However, those who write pamphlets do not give up the idea of a posterity for their writings, and thus the ambition to create a lasting literary work. Two temporalities therefore coexist in the polemical gesture. Thus, the examination of pamphlets published from 1789 to 1848 allows us to think afresh about the way in which the literature of the revolutionary era envisages and represents time through its relationship to contemporary events, to the recent past and to the more distant past. This article is therefore devoted to this relationship to time that permeates polemical writings, from Olympe de Gouges to Claude Tillier.
De ce parcours, les 'Chroniques pour l’Angleterre' se font le relais fidèle auprès du public britannique, Stendhal tenant Courier pour « le premier pamphlétaire de France », et conseillant « à tous les Anglais qui aiment l’esprit français, l’esprit à la Voltaire, de rechercher curieusement les moindres opuscules » d’un écrivain dont « le mérite se trouve dans la manière », laquelle est « si intimement liée au génie de la langue française qu’il serait inutile d’essayer de les traduire ».
C’est la démarche de Stendhal que nous souhaiterions interroger dans ce qu’elle dit des modalités possibles de diffusion de l’écrit polémique et plus particulièrement pamphlétaire dans le premier XIXe siècle ; nous chercherons ainsi à éclairer la façon dont il procède pour promouvoir outre-Manche des écrits ne pouvant être traduits sans perdre l’une de leurs qualités essentielles.
On se transportait du club des Feuillants au club des Jacobins, des bals et des maisons de jeu aux groupes du Palais-Royal, de la tribune de l’Assemblée nationale à la tribune en plein vent. […] On courait entendre chanter Mandini et sa femme […], après avoir entendu hurler Ça ira ; on allait admirer […] Talma débutant, après avoir vu pendre Favras.
Cette frénésie poussant le public à courir à la fois les clubs politiques et les théâtres alors que se brouillent les limites séparant l’espace public de la scène donne la mesure de temps de désordre caractérisés par « la lutte des deux génies, le choix du passé et de l’avenir, le mélange des mœurs anciennes et des mœurs nouvelles ».
Ce mélange des genres s’observe dans la nature même de la production dramatique du temps, qui entremêle pièces anciennes, comédies légères et productions nouvelles comme La Mère coupable (1792) de Beaumarchais, « mélange monstrueux », selon la critique, « de beautés dramatiques, & de trivialités absurdes & ridicules », objet d’« une exécution plus que bizarre ». Le jeu des acteurs les plus fameux de l’époque porte la marque, lui aussi, de cet égarement généralisé : « Qu’était-il donc, Talma ? Lui, son siècle et le temps antique. Il avait les passions profondes et concentrées de l’amour et de la patrie ; elles sortaient de son sein par explosion. Il avait l’inspiration funeste, le dérangement de génie de la Révolution. »
Aussi notre contribution entend-elle examiner la façon dont l’œuvre de Chateaubriand, de l’Essai sur les révolutions aux Mémoires d’outre-tombe, pense au prisme du théâtre – entendu à la fois comme un lieu d’expression politique et comme la production dramatique du temps – ce dérangement de génie de la Révolution, phénomène à la fois intime et collectif qui devait adopter de nouvelles formes sous l’Empire.
(eng) Under the July Monarchy, parliamentary debate was marked by the sometimes unheard-of verbal violence of the exchanges that Louis de Cormenin, MP and pamphleteer, described in his Livre des orateurs (1836). In the face of this hysterisation of parliamentary debate, did Cormenin plead for moderation? Did he advocate a debate that allowed room for verbal violence against the immobilism of ministerial policy? Or did he call for a middle way? This contribution seeks to answer this question in the light of the Livre des orateurs and the Lettres sur la liste civile.
Abstract : Inherent to the creation of the Coppet group, collaboration also characterizes its practice of polemical writing. As the First French Empire began to decline, Germaine de Staël, Benjamin Constant and Auguste Schlegel began to write propaganda in defense of Bernadotte's cause. This article explores, in the light of these writings and Constant's Journaux intimes, the auctorial and editorial perspectives that this collaborative practice of polemical writing calls for.
Comment celle-ci entend-elle le terme de « pamphlet » ? Comment s’illustre-t-il dans les champs politique et littéraire ? C’est ce que nous tenterons de déterminer à l’aide des écrits pamphlétaires de Paul-Louis Courier.
Abstract
Following the footsteps of Germaine de Staël, Benjamin Constant and especially Chateaubriand, pioneers of the modern lampoon, Paul-Louis Courier turns it into a codified and stabilized genre, with its own rhetoric, its own images and its own protagonists (particularly the « I » used by the pamphleteer). However, for the pamphleteer, making the author the main centre of interest implies justifying his writings and explaining the way he can speak on the people's behalf. Studying the lampoon and the metadiscourse relating to it implies therefore opening some sociological horizons : the lampoon emphasizes the social background of the pamphleteer, of his characters and of his readers. Considering these factors, our article aims at comparing the sociological component in Courier's and Tillier's writings, intending to assert exactly how popular 19 th Century-France lampoons are, from a sociological and a rhetorical standpoint.
Quelles sont les modalités esthétiques et poétiques de la scénographie ainsi mise en place ? Comment Chateaubriand instrumentalise-t-il l’Histoire pour appuyer son propos politique, et de quelle façon cela se traduit-il sur le plan esthétique ? Quel est, enfin, l’ethos qui émane du pamphlet ? C’est ce que nous nous appliquerons à déterminer au départ de De Buonaparte et des Bourbons, que l’on comparera à De l’État de la France au mois de mars et au mois d’octobre 1814, pamphlet publié anonymement par Chateaubriand, afin d’attester la continuité et l’originalité des modalités de la posture auctoriale, résolument moderne, du Chateaubriand pamphlétaire. Nous examinerons enfin la réception de la scénographie auctoriale propre au pamphlet au regard de deux écrits parus en réponse à De Buonaparte et des Bourbons, à savoir la Réponse à l’ouvrage de M. de Chateaubriand intitulé « De Buonaparte et des Bourbons » (1814) de Philippe Lesbroussart-Dewaele et les Rêveries de M. de Chateaubriant, ou Examen critique d'un libelle intitulé : « De Buonaparte et des Bourbons » (1815), de Charles-Joseph Bail – écrits révélateurs, par leur publication même, de la résonance, dans le discours politique du temps, du pamphlet et de la figure auctoriale qu’il convoque.
Le présent article cherchera à déployer les modalités de la représentation par le chansonnier des pouvoirs d'Ancien Régime, mobilisés comme les symboles d'un arbitraire anachronique pour mieux mettre en garde l'opinion contre les dangers de la réaction cléricale et nobiliaire qui a cours dès les premières années de la Restauration.
Le polémique est toutefois victime aujourd’hui encore d’une réputation sulfureuse qui doit beaucoup à la violence verbale qui lui est systématiquement associée. Dans le Trésor de la langue française, la polémique est ainsi définie comme suit : « discussion, débat, controverse qui traduit de façon violente ou passionnée, et le plus souvent par écrit, des opinions contraires sur toutes espèces de sujets (politique, scientifique, littéraire, religieux, etc.) ». C’est dire si la violence du verbe est au cœur même des représentations propres au discours polémique, souvent réduit à ses manifestations les plus outrancières – celles-là même qui font la part belle à l’invective pure, voire à l’injure. Critiqué pour sa propension à la violence, à l’outrance et à l’univocité, le polémique constitue pour les mêmes motifs, à l’image de l’ensemble de la littérature d’idées, le parent pauvre de la critique universitaire, et ce malgré La Parole pamphlétaire (1982) de Marc Angenot, maître-essai qui visait à dresser une typologie du discours pamphlétaire de la seconde moitié du XIXe siècle.
Or la parole polémique, quoi qu’on en ait, ne coupe pas court à tout dialogue, et l’injure et l’invective sont loin d’y être systématiques ; le spectre du discours polémique, loin de se limiter à ses formes les plus extrêmes, désigne un large éventail de discours. Leur étude est fondamentale pour saisir les enjeux idéologiques d’une époque, que le propre de la polémique est de cristalliser pour mieux les faire ressortir, ou encore les modalités de la construction d’une image d’auteur, particulièrement saillante dans de tels textes. C’est pour explorer plus avant les nombreuses questions qu’il suscite et tenter de déjouer, ce faisant, les stéréotypes qui entravent aujourd’hui encore son étude que l’on souhaiterait rouvrir le dossier du polémique sous un angle privilégié : celui de l’auctorialité.
Il s’agira d’interroger la façon dont le polémiste – fût-il amateur ou chevronné – esquisse son propre portrait entre les lignes, posant tantôt comme l’énonciateur isolé d’une parole marginale, tantôt comme le représentant d’une faction (politique, littéraire) ou d’un groupe social. Cet enjeu « auctorial » sera le lieu d’une réflexion sur l’autoportrait dressé dans l’espace du texte par le polémiste : comment met-il en scène sa propre énonciation ? Comment caractérise-t-il sa parole polémique, et au-delà, le polémique ? Quels sont les objectifs et les modalités assignés par lui au registre polémique ? Quel lien forge-t-il entre dénonciation et énonciation ? De quelle manière son style informe-t-il ce travail auctorial ?
Or, comme le remarque Friedrich Schlegel, ce début de XIXe siècle qui voit se réunir les membres du Groupe « sera polémique ». En phase avec son temps, le Groupe de Coppet n’hésite pas, ainsi, à donner dans la littérature d’opposition et la satire, en investissant tant le support du journal que celui de la brochure polémique et du pamphlet.
Aussi l’objectif de ce nouveau numéro des Cahiers staëliens sera-t-il de rouvrir le dossier de la satire et de l’écriture polémique à Coppet en analysant la complexité de ses modalités. On envisagera le polémique à la fois en tant que registre mobilisé à l’intérieur de genres autres, et en tant que genre littéraire doté d’une forme, d’un support donnés (fût-ce celui de la brochure, du pamphlet ou des journaux, dans le cas de la polémique journalistique). L’étude des modalités de la parole satirique et polémique des membres du Groupe, qu’elle prenne pour objet des problématiques littéraires, idéologiques ou politiques, permettra d’éclairer un aspect non étudié encore de la réflexion du Groupe, de sa prise de parole sur la chose publique.
Revue internationale transdisciplinaire à comité de lecture, les Cahiers staëliens sont consacrés à l'étude de l’œuvre de Germaine de Staël et au groupe de Coppet (Constant, Schlegel, Sismondi, Bonstetten).
Maniant la véhémence dans une langue aussi dense que sobre, Barbier devient sitôt les Iambes parues le porte-parole d’une jeunesse populaire ; l’écho qu’il rencontre auprès d’elle se vérifiera tout au long du siècle. C’est que nul n’a dit comme lui, c’est-à-dire au travers d’un vers à la fois rude et sobre et d’images fortes que n’affecte aucun conformisme, l’émotion étreignant l’individu devant les mouvements populaires de juillet 1830 ; nul, surtout, n’a condensé d’aussi saisissante façon le symbolisme révolutionnaire, exalté comme le parfait contrepoint d’une époque sans valeurs ni figures héroïques.
Nous nous pencherons sur les modalités de ce symbolisme révolutionnaire afin de déterminer l’image des Révolutions de 1789 et 1830 esquissée par Barbier et dont l’impact mémoriel devait être majeur tout au long du siècle. Il s’agira de dégager les thématiques déployées dans les Iambes, tout en examinant les caractéristiques énonciatives et sémantiques du recueil, afin de cerner au plus près l’imaginaire des mémoires révolutionnaires élaboré au gré d’alexandrins et d’octosyllabes égrenant, selon le mot de Baudelaire, « des pensées utiles et honnêtes » ; c’était là, sans doute, condenser ce qu’avait d’essentiellement, d’instinctivement révolutionnaire la poésie de Barbier.
Virginia Woolf, ‘Women and Fiction’, in Collected Essays, ed. Leonard Woolf,
4 vols. (London: Chatto & Windus, 1966)
La représentation de l’Italie dans l’imaginaire européen du (long) XIXe siècle est fortement imprégnée d’une tradition masculine. Elle puise aux sources d’une pratique de mobilité internationale qui remonte au temps du Grand Tour. Souvent associée à un projet de formation, d’exploration des vestiges du monde antique, ou à des quêtes artistiques et esthétiques elle a donné naissance à une quantité infinie d’œuvres littéraires dont beaucoup sont devenues des références incontournables sur le plan national voire européen et des modèles à suivre pour des générations d’écrivains. Il suffit d’évoquer les noms de Goethe, Stendhal, Byron, Shelley, ou de Henry James, pour comprendre à quel point le regard masculin a façonné la vision de l’Italie à travers les arts, et notamment les littératures, en Europe au cours des XIXe et XXe siècles. Si les études consacrées à la passion du XIXe siècle pour l’Italie sont nombreuses, les femmes y ont encore trop rarement leur place. Des travaux importants leur ont été consacrés ces dernières années, en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en France (citons Walchester, Stabler/ Chapman, Ujma, Bourguinat, entre autres), mais des pans entiers de l’histoire de leur amour pour l’Italie restent encore à écrire.
Le colloque s’emploiera à explorer la contribution des femmes écrivaines à la représentation de l’Italie en Europe, du XIXe siècle jusqu’à l’aube de la première guerre mondiale. Dans cette période de présence croissante de femmes dans l’espace public, l’Italie est un sujet de prédilection et d’attention particulière, et parallèlement au discours masculin prépondérant, les femmes écrivains s’emparent du sujet. Dans le sillage du Grand Tour, les premières voyageuses investissent le terrain, venant souvent d’Angleterre, et nourrissent une écriture du voyage bientôt très abondante. Certaines s’y établissent, tiennent salon, et créent ainsi des zones de contact transnationales. Ces autrices font des émules un peu partout en Europe (Bourguinat) et établissent un genre qui se montre très divers, rompant sur le plan esthétique avec les codes établis (Walchester) et déconstruisant “l’impression d’une Italie statique et monolithique” (Chapman and Stabler). Néanmoins, le voyage en Italie n’est pas une condition absolue à l’écriture. Comme certains écrivains, les autrices contribuent à la construction d’un imaginaire italien purement fictionnel, à l’instar des romans gothiques d’Ann Radcliffe, par exemple.
Imaginée ou vécue, la rencontre avec un pays en profonde transformation politique, économique et sociale, ainsi qu’avec ses richesses culturelles, inspire des productions d’une grande variété : poésie (Elizabeth Barrett Browning, Anna Akhmatova, par ex.), théâtre, roman (George Eliot), nouvelle (Mary Shelley, Selma Lagerlöf), genres non fictionnels, tels les textes journalistiques, l’essai (Vernon Lee), carnets de voyages (Zinaïda Hippius), correspondance (Marina Tsvetaïeva) ou l’écriture historiographique. Dans cette dernière se manifeste par exemple une certaine prédilection pour l’époque de la Renaissance (Sight and Song de Michael Field, 1892) ou du Risorgimento et ses figures célèbres, comme Garibaldi (Ricarda Huch). Des questions liées à la situation des femmes et aux représentations de la féminité sont également associées à ces visions de l’Italie, notamment dans des textes comme Kvinnlighet och erotik (1883) d’Anne-Charlotte Leffler.
L’imaginaire italien féminin finit par produire ses propres chefs-d’œuvre, comme le célèbre roman Corinne ou l’Italie de Madame de Staël, publié en 1807 et dont le succès partout en Europe fut immédiat, surtout auprès du public féminin qui le lisait comme un texte de référence sur le conflit entre l’art et la condition féminine. Dans une perspective transculturelle et comparée, le colloque visera à croiser l’analyse de l’espace représenté et la notion du genre dans le but de retracer les constructions et les réappropriations féminines de l’imaginaire de l’Italie. Quel a été l’impact de textes fondateurs, notamment ceux écrits par des femmes (Mme de Staël, Lady Morgan, Mariana Starke ou d’autres encore) ? Ces modèles sont-ils acceptés, cités ou rejetés ? Quelles questions sociales, culturelles ou esthétiques sont au centre de l’intérêt des femmes pour la péninsule italienne ? Quelles sont leurs motivations pour écrire dans des genres divers, souvent originaux et novateurs ? Enfin, quelles images de l’Italie, des Italiens et de leur culture, y compris la littérature, l’histoire, l’art, la religion, la politique, émergent de ce corpus européen encore à établir ?
à la parution chez Champion des Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, effectuée sous la direction de Lucia Omacini, sans omettre la parution chez Slatkine des derniers tomes de sa Correspondance générale grâce au travail éditorial de Stéphanie Genand et Jean-Daniel Candaux.
Le Cahier staëlien n°74 se propose d'analyser l'engagement politique du Groupe de Coppet : celui de ses textes et celui de ses membres.